dimanche 30 mars 2008

Pleure ménagère ! J. Heuchel

le 30.03.90

Il est 1 heure du matin, ma perfusion de la nuit vient de s'achever. J'écoute Sting dans mon Walkman. je me sens bien.
Pourtant la journée d'hier, a été fatigante. Mais elle fut aussi pleine de joie. En effet, hier à midi, Stéphanie, greffée depuis un an et demi, Laurent, greffé depuis un an, Xavière, greffée depuis neuf mois, et Guy, greffé depuis six mois, sont venus à l'hôpital Renée-Sabran. Ils étaient réunis pour émission télévisée (qui passera sur la 2 ou la 5, on ne sait pas encore) et pour un article à paraître dans Le Figaro Magazine. La greffe et la muco se médiatisent. C'est vraiment une bonne chose, quoique je n'aime pas trop l'idée d'aller pleurer auprès du grand public. Je trouve çà impudique et je compare cela au voyeurisme (ou à l'exhibitionnisme) malsain des gens qui reluquent les photos des macchabées à Beyrouth. C'est sans doute mon atavisme normand, l'autosuffisance qui refait surface. Mais je me dis que l'on a besoin des journalistes et qu'en plus cette démarche ne profite pas qu'à moi, mais à tous les enfants en attente de greffe. Alors je joue le jeu. Ils ont besoin de faire pleurer les ménagères pour vendre. Nous on a besoin qu'elles pleurent pour vivre. Le contrat est honnête...
Or donc, j'ai passé la journée d'hier avec ces amis que je n'avais pas revus depuis septembre 89 pour certains et je suis vraiment heureux de les avoir vus tous les quatre ensemble. J'ai pris des photographies. J'espère qu'elles seront réussies car un tel événement est rare.
Le revers de la médaille c'est que le soir, de retour au Coty, j'ai fait une hémoptysie. J'ai craché 60 cc de sang. Mais cela ne me fait pas peur. Je n'ai pas saigné depuis et je connais des copains qui ont rempli des bassines de sang et qui sont encore là pour le raconter. J'ai quand même passé la nuit précédente au troisième étage, sous surveillance accrue. Mais ce soir je suis revenu au deux ! Cela m'a fait une nouvelle expérience; J'ai découvert des sensations inconnues jusque-là. Ce ronflement dans la poitrine, le sang qui gargouille et puis la toux, inévitable, le filet de sang qui s'écoule de ta bouche pour finir dans un petit récipient en plastique blanc. Contraste du sang rouge et du plastique blanc. Le sang, la vie qui s'écoule de toi inexorablement. Et puis le filet de sang diminue, le gargouillement aussi, fin de l'hémoptysie. La suite au prochain numéro. Il est maintenant 1 h 20. Je vais éteindre le Walkman, éteindre la lumière et dormir. 2teindre le conscient pour allumer et révéler l'inconscient. Contraste du rouge et du blanc. Contraste entre la vie et le linceul mortuaire.

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