jeudi 20 mars 2008

Pas de pitié ! J. Heuchel

le 20.03.90

ça y est ! Je vais peut-être partir dimanche et rentrer à la maison. Cela fait bientôt trois mois que je suis là et franchement j'ai hâte de retrouver la brume normande. La Côte d'Azur c'est vraiment agréable, mais avoir la santé et dormir dans son vrai lit c'est encore plus agréable. D'autant que je n'ai jamais déménagé. J'ai toujours vécu là-haut (hormis un an d'hospitalisation ici même entre 2 et 14 mois) et c'est mon pays. Je l'aime. Je l'aime aussi et surtout pour les gens qui y habitent et avec qui je partage ma vie depuis plus de dix-huit ans : mes deux cousines : Laurence, qui se fait appeler Law, et Aude. elles ont été et seront mes meilleures amies. Nous avons évolué ensemble toute notre enfance. Notre osmose est complète. Nous avons vu les mêmes films, lu les mêmes livres, aimé les mêmes choses, fait les mêmes conneries... Et encore Laurence et moi sommes sans doute plus liés qu'un frère et une soeur, bien que l'on ne se le soit jamais avoué. Bien sûr, elle c'est elle et moi c'est moi ( surtout depuis que je viens à Giens et que j'ai fréquenté d'autres gens qui m'ont apporté d'autres choses) mais nous sommes quand même plus que des amis.
Pendant toute ma jeunesse je n'ai vécu que pour les jours (le dimanche après-midi) où l'on se retrouvais pour jouer. A quatre ans avec des peluches, à 8 avec des playmobil, à 12 avec des déguisements et depuis nos 16 ans avec les jeux de rôles.
Toujours en phase nous avons les mêmes délires et les mêmes imaginations. A nous trois nous pouvons tout créer, tout inventer. Lorsque nous jouons avec les jeux de rôles, pendant un après-midi je suis guéri. Je n'ai plus la mucoviscidose, je suis un démiurge qui façonne le monde. Je rêve éveillé que tout est possible. Et après, la réalité m'apparaît moins lourde, moins désespérée.
Il y a dans l'office du service de l'hôpital une citation de Proust scotchée au mur. Je la cite de mémoire : "
Nous sommes tous obligés d'entretenir en nous quelques petites folies pour rendre la vie supportable". Jamais situation n'a mieux correspondu à mon cas. Ma petite folie se nomme Althéa l'Amazone, et elle décapite un gobelin d'un seul coup d'épée !
Mais attention, n'allez pas croire que je mélange tout. Je sais bien que ce n'est qu'un jeu et qu'Althéa n'est qu'un nom et quelques chiffres sur un morceau de papier. Seulement c'est ma façon de combattre ma maladie et mes emmerdes, en rêvant qu'ils ont la peau verte et le nez écrasé et surtout en rêvant que moi, qui peux à peine monter une côte à pied, je suis capable de me battre pendant des heures et de vaincre ces problèmes en les décapitant.
ces sensations là, il n'y a qu'avec Laurence et Aude que je les ressente. Sans elles je suis foutu. D'autant plus qu'elles sont les seules à avoir l'attitude que j'ai moi-même face à la maladie. Elles l'acceptent, la comprennent, savent lorsqu'il faut que je m'arrête, mais elles ne me passent pas tout pour autant; elles n'ont pas pitié (c'est horrible la pitié), et elles ne me rejettent pas à cause d'elle. Et bien, à part d'autres mucos (et encore pas tous) qui ont évidemment à même de comprendre, j'ai rencontré très peu de gens qui réagissaient ainsi. pour cela et tout le reste elles sont les meilleures amies et je vais bientôt les revoir.

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