dimanche 26 octobre 2008

Dans le ventre J. Heuchel

le 26.10.90 - vendredi, 15 h 45

Me revoilà à Bosc-le-Hard. Je suis rentré le 24 comme prévu. J'arrive de mieux en mieux à gérer mon temps et ma maladie. J'ai déjà tout planifié jusqu'en février ! Retour à Giens vers le 20 novembre. retour à Bosc-le-Hard vers le 20 décembre pour les fêtes de Noël. J'essaie de tenir ensuite jusqu'en février, où les vacances scolaires remplissent le Coty de gens sympa. A moins que je ne sois greffé avant. cette semaine, c'est le premier week-end des vacances scolaires et c'est bientôt le 1er novembre. Le week-end prochain, où cumulerons fin des vacances et week-end de la Toussaint, est, théoriquement le plus meurtrier sur les routes. C'est donc un des moments de l'année où il y a le plus de greffons. Difficile de ne pas y penser en cette période. Quoiqu'en générale les greffes se produisent quand on s'y attend le moins. Wait and see, encore une fois !
Cette cure de perfusions a été relativement efficace. J'ai encore cette sensation désagréable d'oppression, mais je ne m'en suis jamais réellement débarrassé depuis deux ou trois ans.
Avant de partir à Giens, j'ai exposé au docteur Chazalette mon problème qu'en au masque de Jean-Jacques lors de sa venue dans le service. Il s'est montré rassurant, expliquant que Jean-Jacques en était à quatre mois et demi de greffe, que ses doses d'anti-rejet étaient donc diminuées (donc son système de défense immunitaire n'est plus aussi faible), que, de toute façon, il était déjà entré en contact avec le pyocianique et autres saletés il y a longtemps (après de telles infections, le pyocianique était aussi dans son estomac, sa mère était contaminée, ses anciens vêtements aussi, mais qu'il n'avait pas prise sur ses poumons sains). Enfin, les médecins Marseillais ont trouvé la cause de son infection : c'est sa voie centrale qui s'était infectée entraînant une contamination du sang. Aucun rapport avec Laetitia, à mon grand soulagement. Pour expliquer son différend avec Noirclerc, Chazalette a juste déclaré qu'il s'agissait d'une divergence d'appréciation.
J'ai également vu au Coty, pendant ces derniers jours, René-Dominique. Il a beaucoup maigri, a perdu vingt kilos. Mais il semble avoir le moral ou, du moins, il l'a suffisamment pour sauver les apparences. Il estime avoir de la chance d'être encore vivant (et il a raison !); il n'en veut à personne, se contentant de dire : "C'est le destin." Mais, même s'il encaisse bien le coup, il va devoir tout réapprendre car il était gaucher et c'est justement ce bras qui a été amputé. Quand on pense à toutes les situations de la vie courante où on a besoin de ses deux bras, on prend peur : s'habiller, uriner, manger un yaourt, conduire (surtout une moto), faire les courses (impossibilité de tenir le pain et de le payer en même temps), écrire sur ses genoux, maintenir un objet tout en l'utilisant, porter des choses volumineuses... C'est la merde.
Quoi qu'il en soit, je tire mon chapeau à René-Dominique. Voilà un type qui en a dans le ventre.

mardi 21 octobre 2008

Mes amis J. Heuchel

le 21.10.90 - dimanche, 10 heures

A la fois beaucoup de choses à raconter et pas grand chose à dire. J'arrive à la fin de mon séjour à Giens. J'espère repartir le 24. L'ensemble de ce séjour a été plutôt positif, voire très positif.
J'ai un regret : Jean-Jacques est toujours à Marseille. Deux jours avant son départ, il est venu au Coty. il était en forme. (Je l'avais déjà vu le 6 et revu une semaine après.) Mais le soir, de retour à Salvator, il a eu de la fièvre, qui est allée en empirant. Un début d'une infection pulmonaire. Il est traité par "Ciflox-Fortum", des antibiotiques qu'il prenait avant sa greffe... C'est peut-être la dernière fibroscopie qu'il a faite qui lui a fait ça, mais j'en doute, car il est venu à Giens sans masque. C'est Chazalette qui lui a dit de ne pas le porter. Il a même dit qu'il ne courait aucun risque avec Laetitia (Chazalette est au courant de leur relation, c'est Laetitia qui le lui a dit il y a déjà plusieurs mois). Du coup, euphorique, Jean-Jacques a téléphoné à Laetitia à la Londe et lui a tout dit. Elle, qui venait de lui envoyer une lettre de rupture, est tout de suite revenue, réalisant son erreur.
Ils se sont embrassés.
Et le lendemain, Jean-Jacques était malade. Coïncidence ? J'ai revu M. Noirclerc en consultation vendredi dernier. Il a été fou en apprenant que Jean-Jacques n'avait pas mis de masque. Heureusement qu'il n'a pas tout su... Mais dans tout cela que faire ? Qui écouter ? Le spécialiste ès greffe ? Le spécialiste ès muco ?
Si Chazalette avait raison, ça serait formidable pour eux... et pour moi. J'ai revu tous mes amis : Stéphane, François, Martine, Laeti, Fred, mais aussi Juliette qui est arrivée jeudi. Je ne me suis toujours pas lancé. Je n'ose pas. Par timidité, par peur d'un refus, par peur de gâcher une belle amitié, par crainte de devoir tout arrêter après la greffe. Je pars sans doute mercredi. Il ne me reste que deux jours complets. Je ne la reverrai pas avant février (sauf imprévu heureux). D'ici là, je serai peut-être déjà opéré. Malgré mes résolutions passées, tout cela n'a guère évolué . Dur constat d'échec.

lundi 6 octobre 2008

LA douleur J. Heuchel

le 06.10.90 - samedi, 20 h 40

La psychose du pneumothorax a frappé très fort. L'autre soir, peu après avoir écrit et répondu aux lettres de quelques amies, j'ai ressenti LA douleur. Ce flash intense, mais bref, de douleur, ce coup de couteau caractéristique d'un pneumo. Ai-je réellement été essoufflé ce soir-là? Je ne le sais pas. Dans ces cas-là, le subconscient dicte sa loi sur un esprit tragiquement faible. Oui, je crois avoir été essoufflé. En tout cas, je suis sûr d'avoir pris de l'oxygène toute la soirée (sauf au moment du repas). Peur panique. Vision déprimante et angoissante de moi, seul dans une chambre du Val-d'Or (l'hôpital ou a été soigné mon premier pneumo, en juin 88) : le début de la fin.
Mais, fort heureusement, il y a peut-être un dieu pour les petits mucos. Toujours est-il que, le lendemain, après avoir passé une radio à Rouen, j'ai appris que je n'avais pas de pneumo, mais peut-être une pleurésie qui ne m'interdisait pas le voyage en avion jusqu'à Giens.
A mon arrivée, l'interne a été encore plus rassurant. c'est une simple rétraction pulmonaire qui, à cause de la surinfection, a tiré et contracté anormalement le diaphragme. Enfin, si j'ai bien compris.
Pas de pneumo donc et un soulagement énorme.
Depuis, je suis à Giens. Je partage une chambre avec Stéphane et Frédérique (comme en mai-juin). Tant mieux, même si Stéphane part mardi. D'ailleurs, je le trouve parfois étrangement froid et distant. Je crois qu'il "ressasse" la mort de Guy et en veux aux médecins de "l'avoir utilisé comme cobaye". C'est pourtant un problème inextricable. Tellement dingue que je préfère ne pas trop y penser. Ils n'ont (re)greffé à Guy qu'un poumon sur deux. Pour essayer... Quand on se rappel Guy, ça paraît immonde d'essayer, comme ça, pour voir... Mais ils ont au moins essayé... Le problème c'est qu'une fois signée la décharge qui dégage leur responsabilité, ils sont libres de faire n'importe quoi. Même de vous couper la langue pour voir si, par hasard, elle ne gênerait pas votre respiration... J'exagère, bien sûr, mais quand on est concerné on exagère toujours? Pourtant, il faut bien, un jour, tenter quelque chose sur un homme, quitte à ce qu'il en crève, pour en sauver d'autres. C'est un peu comme le premier type qui a accepté de recevoir le premier coeur artificiel. Sauf que, lui, avait été prévenu !
Quoi qu'il en soit, les morts ne ressuscitent pas et il y a toujours des vivants.
Jean-Jacques, par exemple, que Martine, Laetitia, Stéphane et moi sommes allés voir, cet après-midi, à Salvator.
En arrivant, j'ai eu comme un malaise, une espèce de peur irraisonnée de rencontrer Noirclerc et qu'il m'oblige à rester. Le type de sensation que ressent un enfant qui va à l'hôpital pour la première fois : Marseille m'impressionne. Mais, à la vue du visage malicieux de Jean-Jacques, tout a été oublié. J'ai passé trois heures avec mes meilleurs amis mucos. Ça a été très agréable. Jean-Jacques fait plaisir à voir. Ah, quel cran ! Pas une plainte, pas de discours sur ses malheurs des derniers mois. Rien. Jean-Jacques sait recevoir. Il repartira, théoriquement, dans une dizaine de jours chez lui. Je croise les doigts.

jeudi 2 octobre 2008

Le cap de la greffe J. Heuchel

le 02.10.90 - mardi, 15 h 35

La mort a de nouveau frappé le clan des mucos du Coty. Pas de décès depuis juillet... Trois mucos en difficulté : Jean-Jacques, Gyuy et René-Dominique... Ça ne pouvait pas bien finir. C'est Guy qui est allé voir ce qui se passe au-delà de la mort. Il est décédé avant-hier. D'après Jean-Jacques, il a été regreffé samedi, mais l'opération a raté. Il est mort le lendemain. Guy n'aura vraiment pas eu de chance. Après avoir passé trois mois en milieu hospitalier en post-greffe, il allait bien. Mais ça n'a pas duré. Pendant sa dernière année, je crois qu'il n'a passé que deux mois chez lui. Décidément, le premier anniversaire de la greffe est un cap dur à passer. Comme Christophe, il est mort presque un an, jour pour jour, après sa première greffe. En tout cas, c'est tout à l'honneur de Noirclerc de l'avoir regreffé. Il lui a donné une dernière chance, m'a dit Jean-Jacques.
Théoriquement, on ne greffe pas, ou rarement, partant du principe qu'il vaut mieux donner le greffon à un malade en attente que de prendre le risque de le "gâcher" avec un type déjà greffé qui a déjà fait des complications. D'une certaine façon, Guy a eu de la chance. Lui qui était d'un groupe sanguin rarissime a eu trois greffons en un an. Quelle ironie du sort tout de même !
Pendant un temps, certains mucos en ont voulu à Guy d'avoir été greffé en 89. John, un muco qui venait depuis toujours à Giens, était décédé, en attente de greffe, en septembre, faute de greffon. il était d'un groupe sanguin courant. Guy, lui, avait été greffé après moins de deux semaines d'attente... Ce qui lui avait valu d'être un peu considéré, pendant quelques temps, comme un "voleur de greffon", même s'il n'y était pour rien. Et voilà qu'il est mort lui aussi. Il avait, certes, des défauts (opportuniste, avec une tendance à ce croire partout en territoire conquis, très fier de ses origines parisiennes, et parfois un peu casse-pieds), mais c'était un mec qui valait le coup. Sympathique, agréable à vivre, serviable, jovial et plein d'une énergie, d'un enthousiasme formidables. Pour la première fois, la mort de l'un d'entre nous me fait de la peine. Non pas parce qu'elle me rapproche de ma propre mort. Enfin, pas uniquement. C'est la personne même que je regrette, qui me manquera. Pour la première fois, je perd ce que j'appellerai un ami. Bien sûr, ce n'était pas mon meilleur copain, mais nous avions réellement sympathisé. Je me rappelle l'avoir accueilli, en avril 89, au Coty. Je n'y était moi-même que depuis quinze jours, et je lui ai expliqué le fonctionnement de l'hôpital (les perfs, la kiné, les perms). On a parlé de choses et d'autres. A un moment, en feuilletant le programme télé, il a parlé de la guerre des étoiles, le film auquel j'ai voué un véritable culte pendant deux ou trois ans. On a échangé nos idées sur le cinéma de SF, puis, nous nous sommes découvert un point commun : le jeu de rôles. Il avait cessé de jouer à cause de son DEUG qui lui prenait trop de temps, mais nous avons parlé longuement ce soir là...
C'est Jean-Jacques qui m'a appris la nouvelle hier au téléphone. Lui va mieux. Ses problèmes neurologiques et rénaux sont finis. Il doit encore faire des perfs pour lutter contre le CMV qu'il a attrapé mais cela ne devrait pas avoir de conséquences fâcheuses. Il semble avoir bon moral, un moral étonnant après ce qu'il a vécu. Décidément, Stéphane a raison : c'est un tank cet Alsacien. Devant lui, on ne peut-être qu'admiratif.
Quant à moi, je repars demain à Giens. J'ai eu, hier au soir, une sorte de crise d'essoufflement inquiétante. Je suis essoufflé. Il est temps de faire des perfs. J'espérais tenir jusqu'au 8, pour pouvoir faire une partie de jeu de rôles avec mes cousines et Eric, mon cousin (mais du côté paternel), et partir le lundi suivant. C'est raté. Mais j'ai quand même réussi à tenir un mois complet sans perfs. Mieux qu'en août (vingt jours) ou entre les cures de juin et juillet (vingt-cinq jours). ce n'est pas si mal. L'origine de ma crise d'hier soir est sans doute, en partie, psychosomatique. Lorsque l'on respire mal, il en faut peu pour vous stresser. Et plus on est stressé, plus l'on s'essouffle et plus l'on a peur... C'est un cercle vicieux. cependant mon encombrement est réel. Je repars donc avant qu'il ne soit trop tard. Là-bas, je retrouverai Stéphane (qui fini une cure),ainsi que Laetitia, Martine et François. Il y a également Benoist Fumey que j'avais apprécié en février-mars. Frédéric, aussi, devrait revenir vers la mi-octobre. Ce séjour ne devrait donc pas être trop ennuyeux.
Si je n'ai pas de pneumo, comme je le crains...