dimanche 30 novembre 2008

Un espoir (Cambodge)

Voici un petit film pour notre action au Cambodge :

En construction.


vendredi 28 novembre 2008

André J. Heuchel

le 28.11.90 - mercredi, 15 h 30

Je suis à Giens, dans la même chambre que la dernière fois. Nous sommes peu nombreux. Christine est partie ce matin (pas bien grave), ainsi que Sonia (c'est plus regrettable). J'ai fait la connaissance d'André. Encore un personnage particulier ! Il est âgé au moins de 26 ans (et sans doute plus). Il a sa propre maison, sa femme, et travaille comme photographe à plein temps. C'est une des premières fois qu'il a des perfusions. Il est en forme. Il fait partie de ces mucos sur qui la maladie semble ne pas avoir prise (ni physique, ni mentale). Mais son état de santé n'est pas un obstacle. Il n'est pas comme certains, qui ont peur de ceux qui sont vraiment atteints, et semble nous comprendre, tout en gardant son autonomie.
Christophe est rentré ce matin. Il n'a plus de malaises, n'est pas particulièrement encombré, mais il a perdu le feu sacré. Lui qui rit toujours, qui est le premier à faire le guignol, semble passif. Il ne parle pas trop et tous ses gestes sont pleins de lassitude. Ses dernières crises doivent avoir réveillé en lui des souvenirs désagréables. Il voit, à travers la mort de ses anciens amis, la sienne. S'il ne reprend pas le dessus, il va finir par ne plus avoir aucun tonus, et là, le pire est à craindre.
Mais je pense qu'il va y arriver. si on le stimule, si on lui redonne le goût à la vie, si on le sort de sa torpeur, ce sera bon pour lui. A mon avis, les médecins n'y peuvent rien (sauf la psychologue peut-être) ni les antibiotiques.
Ici, il fait mauvais. Une légère pluie tombe. je regrette la pluie normande. Moi aussi je suis gagné par la grisaille du temps. La Côte d'Azur sous la pluie, c'est vraiment lugubre. Je vais essayer de lire un bon bouquin pour me distraire. Avant d'être rongé à mort par les souvenirs pénibles que font ressurgir ces couloirs lorsqu'ils ne sont pas animés et emplis de bruits.

dimanche 23 novembre 2008

Ecrivain ?! J. Heuchel

le 23.11.90 - vendredi, 15 h 15

L'alternance Bosc-Giens va recommencer. Lundi, je repars pour la Côte d'Azur. En hiver, ça sera probablement très calme. Trop. D'après ce que je sais, il y a trois malades à Giens : Denis qui est sympa, mais qui ne mettra sans doute pas beaucoup d'animation. Christine qui est sans aucun intérêt et un peu bête. Et François qui est plein de qualités, mais n'est hospitalisé que de jour. Ça risque d'être dur. Enfin, il y aura bien des entrées d'ici Noël. Moi, je compte partir le 22 ou le 23 pour profiter pleinement de Noël. L'année dernière, je l'avais passé avec un drain à l'hôpital du Val-d'Or. Ca n'avait pas été très drôle. J'espère faire mieux cette année. pendant ma cure de perfusions à Giens, je reverrai aussi Jean-Jacques (enfin ce n'est pas sûr). Je dois aller à Marseille faire un ou deux examens complémentaires pour le bilan pré-greffe, et Jean-Jacques doit redescendre pour son bilan des six mois de post-greffe.
Je repars, théoriquement, le 12 dans l'après-midi. Il arrivera le 12 au soir. je vais donc essayer de me faire prolonger de vingt-quatre heures pour le voir. Mais cela dépendra aussi des conditions d'hospitalisation. S'ils piquent comme des nuls, je ne resterai pas.
Quoi qu'il en soit, j'ai eu une agréable période à la maison. Je suis allé au cinéma chaque semaine. J'ai lu quelques livres à un rythme correct (notamment le dernier Stephen King) et j'ai pas mal discuté avec mes cousines. J'ai l'impression que le jeu de rôles n'est plus qu'un prétexte à nous voir. En un mois, nous n'avons fait que deux parties. En réalité, nous passons de plus en plus de temps à parler. de musique, de livres, de ciné, de BD, mais aussi de projets, de vie, de mort, de Dieu, des dieux,des extraterrestres, de Mars, du monde, de l'Irak, de la contestation étudiante, de mode, de nos parents, de nos grands-parents, d'amour, d'amitié, d'enfants, de mille et une choses. Ces discussions sont très agréables et prennent de plus en plus de place dans nos rencontres. A tel point que, ce week-end, nous n'avons que la création d'un démon-bras pour Lorzaniah au programme. Il est sous-entendu que nous allons parler le reste du temps.
Une autre activité essentielle de ces dernières semaines fut, pour moi, la participation au concours de nouvelles de la villede Villeneuve-d'Asq, sur le thème "et si Mozart m'était conté".
J'ai toujours aimé écrire. j'ai depuis longtemps, rêvé d'être un écrivain. D'ailleurs, je n'y ai pas renoncé. L'écriture est le plus vieux (et le moins coûteux) des moyens de communication entre les gens et les époques. Par "communiquer" je n'entend pas promouvoir une marque de lessive ou une couche culotte. Non. Je prends ça au sens noble du terme. Faire partager une joie, un plaisir, une émotion à travers le temps et l'espace, c'est ce qu'il y a de plus formidable en ce monde, après le plaisir de la création. J'aime ça. J'aimerai faire ça toute ma vie. J'aimerai en vivre.
Il y a un an, j'ai donc participé à ce concours. L'année dernière, le thème en était le rêve. J'ai perdu. Ça ne m'étonne pas. J'aime écrire, mais ce n'est pas parce que j'aime cela que j'ai du talent. C'est dommage. Mais bon, en tout cas, les organisateurs du concours m'ont renvoyé un courrier m'apprenant l'existance de celui de cette année.
Mozart en est le thème. Mozart, dont on connaît le statut d'enfant prodige, m'a fait penser (on réagit toujours en fonction de soi et de son expérience) à Pierre-Jean Grassi.
J'ai donc écrit un texte, qui fait six copies doubles, sur un adulte muco, compositeur classique. je n'ai pas fait, heureusement, l'histoire de Pierre-Jean en l'appelant Mozart.
Je ne connaissais pas Pierre-Jean et je ne connais pas la musique classique. Ce que j'ai essayé de faire passer dans ce texte, c'est la réponse à la question fondamentale qui m'a longtemps torturé l'esprit, même si je n'arrivais pas à la formuler : "Quel est mon rôle en ce monde, à moi qui suis faible, improductif, inutile ? A moi qui ne vivrai pas assez longtemps pour que le monde s'aperçoive que j'ai vécu ? A moi qui n'apporte aux autres que le malheur de ma condition ?"
J'ai répondu, en partie, à ces questions depuis seulement quelques mois. Pour moi, ce texte est important. Mais je ne sais pas si je vais réellement l'envoyer. Je le pense car je ne savais pas si je l'écrirais et je l'ai fini hier. Mais tout de même, certaines choses me retiennent.
La pudeur d'abord. J'en dis beaucoup sur moi, plus que ce que j'ai jamais dit, même à mes parents (quoiqu'ils l'aient sans doute ressenti). Ensuite, j'ai peur que mon histoire soit mal interprétée, qu'elle le soit comme une autocongratulation. Que l'on pense que je me fais une très haute idée de moi-même. Et je crains la réaction de mes proches et celle des autres mucos. Surtout ceux que j'aime et estime : François, par exemple, dont les critiques acerbes fusent facilement et sont si justes.
Évidemment, si je lui montrais le texte, il pourrait peut-être me montrer ce qui est bancal. mais ce ne serait plus mon texte et je serais donc hors concours. On ne rôde pas un texte comme les règles des jeux de rôles. De toute façon, jamais je n'oserais le faire lire à des gens comme lui. Ni même à des proches. Si je l'envoie au jury du concours, je l'aurai moi-même dactylographié et photocopié. L'idée que des gens qui n'ont jamais vu ma tête et qui ne me connaissent que par courrier seront les seuls à lire le texte me soulage.
Je repense aussi à une conversation que j'ai eue avec Stéphane. Il partage les mêmes rêves littéraires que moi. mais lui, il semble réellement doué. J'ai lu certains de ses textes et il en ressort une atmosphère particulière que l'on ne retrouve nulle part ailleurs. Si j'essayais de définir ses écrits, je les comparerais à un mélange de Kafka et de Lovecraft pour l'ambiance. Mais les sujets sont plus violents et plus proches du quotidien. De certains se dégagent, en tout cas, ce désespoir et cette tension sous-jacente communs aux deux autres écrivains. Il y a aussi une parenté avec Lautréamont, parfois voire avec Poe.
Bref, un jour on parlait de littérature et Stéphane m'a dit vouloir entrer dans la littérature par la grande porte. Il n'était pas question, pour lui, d'écrire un journal, mais un roman, de qualité, qui s'épargnerait la facilité de transposer sa vie (plutôt mouvementée). Or, c'est un peu ce que j'ai l'impression d'avoir fait. Mon histoire ne reprend pas un moment que j'ai vécu, mais j'ai sombré dans la facilité d'évoquer la mucoviscidose, le monde de l'hôpital que je commence à bien connaître et la maladie. C'est un peu facile !
D'un autre côté, en parlant de ce que je connais, je m'évite d'écrire trop de conneries et j'y gagne en authenticité. je pense être bien placé pour parler de tout ça. Mais la musique ? Car, pour parler de Mozart, il m'a fallu parler de musique classique. Or, je n'y connais rien et je n'aime pas ça. Là, mon histoire semble trop idiote. Cette idée de temps entre les trois minutes d'une chanson et les deux heures d'un opéra est assez grotesque. D'autant que Pierre-Jean a composé des morceaux courts. Mais, dans la trame du récit, cela s'imbrique bien avec le personnage, obsédé par la temps qui lui reste à vivre.
J'ai fini hier, et même maintenant que cette nouvelle est achevée, je n'arrive pas à me décider. Ai-je fait un texte un peu bête, un peu pleurnicheur et exhibitionniste, un peu trop glorifiant et trop mièvre ? Ou est-ce qu'il correspond à quelque chose de réellement importa,nt qui pourrait amener les gens à réfléchir sur leur condition ?
Ce sentiment de jalousie à l'égard des bien-portants, qui ignorent leur chance et se font une vie d'enfer alors qu'ils ont un sacré avantage au départ, est lui-même critiquable. Car enfin, est-ce parce que j'ai tiré un mauvais numéro que je dois en vouloir aux autres ? D'ailleurs, il y a deux ans, jamais je n'aurais écrit un truc pareil. J'ai changé. mon numéro n'est pas si mauvais, je l'ai déjà écrit ici. je suis en train de tourner en rond dans ma réflexion. Car, finalement, ce texte part un peu à rebrousse-poil de ce que je fais d'habitude ou, du moins, de ce que je faisais.
En y repensant maintenant, ce texte est l'écho de ma rencontre avec les jeunes filles du Centre sportif du Pradet. La fois où j'ai raconté ma vie à des inconnues. Je garde un souvenir ému de cette rencontre. Elles m'avaient réconforté, d'une certaine façon. Et moi, que leur avais-je apporté ? Peut-être ce que la muco apporte au narrateur : une certaine conception de la vie. Si c'est bien cela que l'on retiendra de cette nouvelle, alors il me semble qu'elle est bonne. Il faudrait que je la retouche pour bien faire comprendre aux lecteurs que les deux personnages centraux gagnent, l'un et l'autre, dans cette rencontre. L'un parce qu'il se sent moins seul et l'autre parce qu'il se sent aussi moins seul. ils s'enrichissent mutuellement, prenant, dans l'autre, la force nécessaire à affronter leurs épreuves. L'idéal serait de ne pas écrire cela noir sur blanc, mais de le faire ressentir au lecteur. là, j'aurais vraiment réussi mon coup.
De toute façon, je vais partir à Giens. J'aurai un mois pour y repenser dans un contexte différent. Ce n'est qu'après les vacances de Noël, lorsque je serai à nouveau seul à la maison, que je pourrai dactylographier ce texte. j'aurai dix jours pour le faire et, ensuite, il me faudra décider si, oui ou non, j'enverrai cette nouvelle au jury.

mardi 11 novembre 2008

Si sot, Si sot J. Heuchel

le 11.11.90 - dimanche, 11 h 35 du soir

J'ai vu le dernier film de David Lynch au ciné cet après-midi. Un film atypique, très surprenant, très personnel. Du Lynch quoi. Parfois incompréhensible, parfois génial. C'était Sailor et Lula, Palme d'or à Cannes en 90. Ils ont drôlement changé, en quelques années, les jurés. Entre Thérèse et Lula quelle différence ! Mais si j'écris ce soir, ce n'est pas pour faire de la critique cinématographique, pour ça j'ai mes fiches. Si j'écris, c'est parce que Lula m'a fait penser à Juliette. Elles n'ont aucun point commun, vraiment aucun. Pourtant, j'ai très vite pensé à elle. Serait-ce que je m'identifiais à Sailor ? Je ne crois pas. Enfin pas plus que je me suis identifié à d'autres personnages. Plutôt moins, même. Qu'est-ce qui fait que ce film éveille en moi le souvenir de Juliette ?
Sans doute est-ce un des rares films où les personnages ont vraiment l'air de s'aimer. Sailor et Lula sont amoureux comme le sont rarement des héros de cinéma.
Je me demande comment jouer aussi bien sans être réellement amoureux. Sailor et Lula, inexplicablement, me semblent le couple idéal; vraiment fait l'un pour l'autre pourrait-on dire.
Mais c'est plus que ça. je ne peux pas arriver à expliquer ce qui me touche et m'émeut dans cet amour, mais ça n'est pas parce que je ne l'explique pas que ça n'existe pas. Et je pense à Juliette. J'ai presque l'impression qu'elle est tout près, qu'en tendant le bras je pourrais la toucher. Ça me réconforte, mais à chaque fois la rêverie se prolonge et je me retrouve seul, réellement seul. Juliette. Ça fait presque mal de l'écrire. Je lui ai envoyé une lettre l'autre jour, d'une banalité affligeante. Style : "Je ne fais rien de spécial. Et toi ? Bye-bye."
Je me demande si c'est vraiment ça l'amour ? C'est une sensation plus ou moins nouvelle pour moi.
Quand je pense sérieusement à tout ça, je me demande où cela pourrait m'emmener et je ne vois pas. Le Havre-Avignon. La différence entre une heure et une journée de route. Bah ! De toute façon je ne serais jamais allé la voir au Havre... Je n'aurais pas osé. Comme je n'ose jamais essayer, lorsqu'elle est avec moi, de lui parler.
Je me sens si sot. Que lui dire ? Comment le prendrait-elle ? Quand j'évoque nos anciennes rencontres, j'y vois souvent une amitié profonde, mais c'est tout. Peut-être à deux ou trois reprises est-ce allé plus loin. Je veux dire dans la conversation, dans certaines choses qu'elle m'a dites, qu'on ne confirait pas au premier venu. Mais c'est une preuve d'amitié. C'est tout. Ce soir, je me sens à la fois très bien et plutôt mal. "C'est une joie et une souffrance", comme il est dit dans un film, je ne sais plus lequel.
Je ne sais toujours pas si c'est cela l'amour, mais j'ai rarement éprouvé de tels sentiments, de telles sensations, presque physiques, viscérales. L'envie de lui prendre la main et de la serrer dans mes bras. Rien de sexuel, en tout cas pas au sens où je l'entends souvent.
C'est marrant, je repense à Stéphane qui m'avait monté une baraque avec une fille pour qui je n'avais aucune, mais vraiment aucune attirance, et qui me disait : "Allons, Johann, tu crois que tu arriveras au chef-d'oeuvre avec la première fille que tu rencontreras ! Non, il faut s'entraîner, se faire la main !"
Et ce sermon de Ferrès Bueller sur Cameroon, son copain un peu coincé : "L'avenir de Cameroon est terne. Il n'ose rien. Il va se marier avec la première fille qui voudra bien de lui et elle le mènera par le bout du nez. Parce qu'il croira qu'elle lui aura offert ce qu'il considère comme le plus important."
J'ai un air de famille avec Cameroon, je crois bien. Si j'analyse mon comportement avec les filles, il est, en façade, toujours le même.
Un garçon que les choses de l'amour indiffèrent. Sympa, peut-être même bon copain. Point.
En réalité, il y a deux cas : je trouve la fille conne pour une raison ou pour une autre. C'est très subjectif tout ça. Alors, je ne cherche pas à lui parler, je l'ignore. C'est dommage car je rate parfois des gens bien, mais bon...
Dans ce cas, quoi qu'il se passe, je ne veux pas en savoir plus et il ne me viendrait jamais à l'idée d'essayer de la séduire. Je la méprise tranquillement et, même si elle était valable, malgré moi, je la vire. Plus exactement, je la décourage par une splendide indifférence. J'ai fait ça très bien avec la fille que Stéphane m'avait choisie.
L'autre cas aboutit aussi, hélas, à une impasse. la fille vaut le coup. Pour des raisons là aussi subjectives, je l'estime, je la respecte (ça fait con mais je ne vois pas d'autres mots). Disons que sa morale, ses convictions correspondent suffisamment aux miennes pour que je recherche sa compagnie et discute avec elle. Souvent ces filles sont mes amies. Parfois, il arrive que ce sentiment d'amitié devienne flou et tende vers cet étrange impression qui fait que, dès qu'on entend le nom d'une personne, on y repense avec attendrissement. Plus d'une amie m'a fait flirter avec ce sentiment. Seule Romane m'a autant chaviré que Juliette. Et, dans ce cas, cette estime que je porte aux gens me paralyse et je n'ose le leur faire comprendre, de peur de les décevoir; de peur de gâcher une belle amitié; de peur de paraître ridicule. Je ne sais pas non plus dire ce qu'il faut. Je me sent si sot, si sot. Et ça fait mal.
Alors, je rêve que je lui écris une lettre, poétique et belle, une lettre où je trouve le ton juste pour l'émouvoir.
Me voilà devenu romantique sans m'en rendre compte.

samedi 8 novembre 2008

Je suis prêt J Heuchel

le 08.11.90 - jeudi, 10 h 30

JE SUIS HEUREUX. Tout simplement heureux. cela fait une heure que Jean-Jacques a quitté Marseille pour retrouver son Alsace natale ! Il m'a téléphoné hier au soir; il était sur le départ; sa mère finissait les valises. son infection du sang était bien la dernière. Maintenant la vie s'ouvre devant lui. Il doit être prudent pendant encore six mois. A ce moment, après un an de greffe, on saura si c'est réellement un échec ou une réussite. mais, déjà, ce simple retour à la maison est une formidable victoire. Après tout ce qui lui est arrivé, c'est magnifique. Comme il doit être heureux ! Aujourd'hui, il fait la route en VSL. Ce soir, il sera chez lui. Il va retrouver ce qui est le plus doux aux yeux d'un malade : son foyer . Et sa maman qui l'a suivi à chaque instant doit, elle aussi, être bien soulagée.
Lorsqu'il était venu à Giens, au moment ou il pensait déjà partir, elle avait eu peur qu'il n'y ait un contretemps. peut-être était-ce une prémonition, une forme d'instinct maternel. Cette fois-ci, c'est la bonne. Aujourd'hui, à travers la France, un VSL anonyme va rouler. Dedans, il y a Jean-Jacques. C'est mon ami.
Grâce à lui, je me suis intégré au Coty, j'ai découvert une certaine forme d'indépendance et de liberté, loin des contraintes qu'avaient fait peser sur moi une école trop stricte et des parents trop protecteurs. J'ai acquis une maturité qui m'était inconnue; j'ai découvert une autre façon de vivre. Je ne dis pas que j'imite Jean-Jacques à 100%, mais il m'a montré autre chose que le jeu de rôles, la lecture et la TV. Il m'a montré l'agréable sensation de découvrir l'inconnu, d'apprécier la vie d'une façon différente. de l'angle d'un café ou du fond d'une chambre d'hôpital, il a donné un sens nouveau à ma conception de l'amitié.
Être ami avec lui, c'est différent des amitiés que j'ai connues avant. Sauf, peut-être, avec mes cousines. Il m'a fait comprendre qu'un ami ce n'est pas nécessairement le type qui a vu la Guerre des étoiles dix fois, comme moi, ou qui lit Lovecraft, mais c'est, avant tout, celui qui partage tes problèmes, qui t'écoute, que tu écoutes et à qui tu peux parler franchement sans crainte. et ça c'est formidable.
Et il m'a aussi donné la force de surmonter l'épreuve de la greffe. S'il l'a fait, je le ferai. Même s'il a connu des moments de découragement, il a eu la volonté de s'en sortir.
Alors qu'en juillet ma détermination vacillait, maintenant elle a grandi. L'oscillation est positive. Même s'il y en a qui y sont restés (Guy surtout), je sais maintenant de façon plus consciente et réfléchie qu'il faut le faire. lorsqu'on m'a parlé de la greffe la première fois, j'étais contre. C'est maman qui m'en parlait comme d'une éventualité future. Quand j'aurais 25 ans. Puis, voyant mon état se dégrader en 88 (premier pneumothorax, les perfs de plus en plus souvent, les fibroscopies qui ne faisaient rien, l'oxygène à la fin de l'année), lorsque le docteur Bagdach (je ne me souviens plus de l'orthographe) m'a parlé de greffe, j'ai dit "oui", croyant avoir trouvé la solution miracle. Après des mois d'examens, d'abord à Paris, puis à Marseille, j'ai été mis sur la liste d'attente de Noirclerc, en juin 89.
J'étais à fond pour la greffe. les premiers morts ne m'ont pas ébranlé. Patricia n'avait pas eu de chance et, à cette époque, le spectre d'une fin comme Jonh me hantait. Tout plutôt que de crever la gueule ouverte avec un respirateur artificiel. Mais, début 90, la mort d'éric Chabaud, puis celle de Christophe m'ont ébranlé dans mes convictions. la greffe était-elle la solution ?
Jean-Jacques me remontait le moral. Son obstination farouche à être greffé m'encourageait. Quand il est parti, ça a été un vrai choc. Comme il allait plutôt vers le mieux, j'ai pris confiance. Mais l'été a été dur. Dieu sait pourquoi, j'ai commencé à redouter qu'on m'appelle. Jean-Jacques ne revenait pas. Stéphane tenait un discours très dur et pessimiste sur la greffe. Bref, je sentais mon envie d'être greffé foutre le camp et mon moral, ma volonté s'amenuiser. J'avais beau essayer de me reprendre (et j'y arrivais par moments), un rien me faisait douter atrocement. Puis Laurent est mort. Il n'avait pas la pêche. Je me disais : "C'est pour ça qu'il y est resté." Il avait trop peur; il était trop vulnérable. Et, en pensant à ça, je réalisais que, moi aussi, j'étais vulnérable. Moi aussi, je n'avais plus le feu sacré. J'ai revu Jean-Jacques en juillet. Ça ne m'a guère rassuré. Il avait l'air d'un zombie. Puis il est reparti en réa.
Là, l'oscillation a complètement changé de cap :"Qu'ils aillent se faire foutre avec leur putain de greffe !" j'ai pensé. "Finalement, avec des perfs régulièrement, je ne m'en sort pas si mal."
Puis, peu à peu, en Corse et en septembre, j'ai réalisé qu'en fait je ne tiendrais pas longtemps. Un jour ou l'autre, tous les antibiotiques seraient inefficaces. Là, je pourrais dire bye-bye aux vivants. Stéphane aussi m'a aidé avec sa tirade du lundi soir.
J'ai compris aussi que des gens m'aimaient, m'estimaient même. J'ai compris que je n'était pas seul. Oh, bien sûr, la splendide humanité se moque de moi et je me moque d'elle, mais mes parents, mes amis, mes vrais amis, - pas ceux qui viennent me voir de temps en temps histoire d'être en accord avec leur conscience -, mes vrais amis donc, valaient la peine de tout tenter. Et le monde aussi, peut-être, valait la peine d'être vu plus longtemps. Alors j'ai décidé, en mon âme et conscience, comme on dit, de tenter le coup. Et je pense avoir raison. Guy est mort. Ça aussi a été dur à encaisser, et pour Stéphane aussi, j'en suis sûr. Mais même Guy m'a poussé à continuer quand il était vivant. Il était mal; il en avait chié, mais il n'a rien regretté. Sauf, peut-être, vers la fin. Et encore ? S'il existe un au-delà, je sais que Guy est et que, là-bas, il espère bien que je vais tenir, comme Jean-Jacques a tenu. maintenant, j'attends la greffe avec sérénité. je pense pouvoir dire que je connais les risques. Mais, finalement, je n'ai pas le choix. Alors, je le ferai et j'y survivrai. Grâce à mes amis, grâce à Jean-Jacques.
Je suis prêt.