dimanche 29 juin 2008

Désir J. Heuchel

29.06.90

La télé est un des objets qui me sont indispensables. Aujourd'hui, c'est la fin de l'année scolaire. la fin de la saison 89-90 à la télé. Si je me retrouve dans une chambre d'hôpital sans canal + et sans les nuls, ça va être dur. Déjà que ce n'est pas folichon l'hiver... Alors l'été. Et si je parle de chambre d'hôpital, il ne s'agit pas de Giens, où je suis maintenant comme un poisson dans l'eau, mais de Marseille.
Marseille où Jean-Jacques est encore en réa, un mois après sa greffe § Marseille où l'on n'a que dix à soixante minutes de visite par jour. Marseille d'où tous reviennent transformés, ahuris, comme absent.
Allô, ici l'esprit : il n'y a plus d'abonné au numéro demandé. Bip. Bip. Bip.
En revenant de réa, tous sont incapables d'en parler. C'est sans doute trop dur, trop long, trop chiant, trop déprimant, trop sinistre. L'esprit déconnecte. Bip, bip, bip, bip, bip.
Plus rien. Plus personne. Ils ont tous oublié la réa, ou ne veulent pas en parler. Sauf Guy.
Guy qui raconte que, sous l'emprise de la morphine, il se prenait pour une araignée. Guy qui dit à qui veut l'entendre qu'il a failli devenir fou. Que les médecins sont des tarés, qu'ils font des prises de sang, en fémoral, sans anesthésie locale.
Au fait, quand j'y pense, j'ai peur. Si la seule chose qui pouvait me distraire s'arrête (à savoir les émissions de canal +), je me demande comment je vais sortir de la greffe.
J'en ai de moins en moins envie de cette greffe. J'ai trop d'amis mucos pour renoncer facilement à les laisser tomber une fois greffé. Je commence à en savoir aussi trop sur les complications postopératoires pour y aller l'esprit tranquille. Même si je sais depuis longtemps que c'est un gros risque, cela ne fait que un ou deux mois que je commence vraiment à prendre conscience de ce qui m'attend : problèmes de diaphragme, de la fibrose pulmonaire totale, des éventuelles réopérations si les bouts de fer (les agrafes, en jargon médical) s'infectent ou bougent, les problèmes d'hémorragie, les prothèses bronchiques... De plus, toute une surveillance postopératoire très sévère pendant un an; puis plus espacées dans le temps, mais à vie. Les surinfections dues à l'immunodépression, les rejets, les pneumothorax qui surviennent parfois lors des biopsies... Bref, c'est pas la joie... Et cette sensation d'être un rat de laboratoire.
A Giens, Stéphane m'appelle "vieux rat".
Ce n'est qu'un surnom, mais je le porte bien. Voûté, amaigri, le visage creusé et la peau pâle, j'ai vraiment l'air vieux. Et je suis un rat de laboratoire. Délicieux cocktail.
Mardi dernier, avec mes cousines, on a répondu au questionnaire de Proust, un peu transformé par Laurence. ça a été un moment formidable où l'on a retrouvé la franchise d'une vraie amitié. Cela m'a rapproché d'elle alors que, obnubilé par Giens, je m'éloignais d'elles.
ça confirme ce que je pensais un peu : elles sont plus enfantines que moi. Le rêve de bonheur d'Aude est d'apprendre en dormant pour ne plus aller à l'école et le seul défaut que se voit Laurence est un manque de mémoire.
Bref, Aude n'a pas compris qu'apprendre n'est pas une obligation, mais un désir, et Laurence ne voit toujours pas ses vrais défauts, ou plutôt elle s'entête à ne voir que ceux qui ne lui plaisent pas, occultant son égoïsme et quelques autres.
Mais toutes les deux n'envisagent pas l'avenir après la mort. Elles ont, à un moment ou un autre, souhaité ma survie dans leur souhait. ça m'a fait plaisir. C'est tout de même agréable de se sentir "aimé". Il faut dire qu'on se connaît quasiment depuis notre naissance. Mais, moi aussi, leur disparition me peinerait terriblement et plus encore. Après tout, ce sont quand même les personnes avec qui je partage ma vie depuis des années, à part mes parents. Mais "parents" et "ami" c'est différent. Et si parfois elles me semblent puériles, c'est aussi que je suis un étranger par rapport à celui que j'étais il y a deux ans.
Aujourd'hui, j'ai rouvert mes affaires de classe. J'ai jeté tout un tas de photocopies des cours que j'avais manqués en 88. Ces photocopies dataient d'octobre, novembre et décembre 88, date à laquelle j'espérais encore continuer ma scolarité et passer mon bac en juin 89.
J'y ai retrouvé des cours de philosophie (les seuls que je n'ai pas bazardés) sur l'inconscient : le Moi (moi,quoi), le ça (l'instinct primaire de la bête qui sommeille en nous) et le surmoi (l'autorité morale et les tabous de la société et de l'éducation). Comme ça rejoint le questionnaire de Proust et que, finalement, la seule chose qui nous intéresse c'est "qui suis-je, où vais-je, dans quel but j'erre ?".
Questionnaire de ¨Proust (version J.J.A.H.*)

Qualité d'un homme : l'humour.
Qualité d'une femme : la compréhension.
Qualité d'un ami : la franchise.
Mes défauts : naïf, parfois même obtus, tendance à écraser les autres quand je suis épaulé, acide, égoïste, hypocrite, menteur.
Rêve de bonheur : une greffe réussie en conservant des liens avec les mucos. Vivre intensément et bien. Avoir le temps de faire aboutir quelques projets.
Le plus grand malheur : mort de mes vrais amis et parents. Devenir aveugle et paralysé (surtout les bras). Et, le pire de tous, si après la mort c'était pire qu'ici, si mes angoisses les plus profondes étaient vraies... Une vision d'horreur totale : être prisonnier dans la toile d'une immonde araignée géante (et velue !).
Pays où je voudrais habiter : je suis bien en France. Ou alors l'Angleterre.
Ce que je voudrais être : non muco (quoique, parfois, je me demande !). Être beau, grand, riche et intelligent (quoique, là aussi, je me demande si je ne serais pas un connard de branleur si j'étais si parfait).
En tout cas, j'aimerais être plus lucide, plus objectif, plus cultivé et surtout plus sûr de moi. J'aimerai croire en quelque chose de solide. Mais la certitude conduit à la stagnation. En réalité, j'aimerais guérie (déjà si la greffe réussit il y aura un progrès) mais garder ma conscience et mes souvenirs. Parce que cette vie n'est peut-être pas toujours facile, mais c'est la mienne.
Mes préférences :
Couleur : le bleu.
Fleurs : les chrysanthèmes.
Animal : le tigre.
Ecrivains : Stephen King, Lovecraft, Tolkien, Herbert, Moorcock, Lautréamont, Alan Moore.
Livres : ça, puis, un cran derrière, les écrits des auteurs cités plus haut.
BD : les gardiens.
Films : Alien, Star Wars I, II et III, Indiana Jones I, II et III, Robocop, Brazil, Highlander, Conan I.
Metteurs en scène : Steven Spielbergt, Peter Weir, Jonh Boorman, Alan Parker, Clint Eastwood, Ridley Scott, James Cameroon, David Lynch...
Héroïne réelle : Mère Teresa.
Héros réel : John F. Kennedy.
Héroïne fictive : Jean Grey, en tant que phoenix.
Héros fictifs : Indy, Serval, Paul Atreïde, dit Muad Dila.
Héroïne de jeu de rôle : Althéa l'Amazone.
Héros de jeu de rôle : Allan Burnt.
Actrice : Sigourney Weaver.
Acteur : Harrisson Ford.
Véritables amis : Law et Aude, Stéphane, Thierry, Jean-Jacques.
Le trait de caractère que je déteste le plus : l'hypocrisie.
Ceux que je hais : les grands cons trop sûrs d'eux.
Meilleure manière de mourir : à Mach 1, à quinze mille mètres de haut, dans un accident d'avion.
Don de la nature que j'aurais aimé : voler, faire bouger les objets par la pensée (la télékinésie quoi !).
Devise favorite : "Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts", Nietzsche.

Ce soir, Yannick est rentré de Grèce. Il m'a offert un superbe poignard et une dent de sanglier montée en pendentif. Il paraît que c'est un porte-bonheur local.
_______
* Johann, Jacques, Adrien Heuchel

lundi 23 juin 2008

Projets J. Heuchel

23.06.90

Ce soir je suis allé au cinéma voir "Appartement zéro", petit film Argentin passé complètement inaperçu. Pourtant, c'est un chef-d'oeuvre dans sa catégorie. Un film policier noir, très noir, peuplé de gens à la limite de la folie, acculés par la dégradation politico-économique du pays. Un film fou, désespérant, atroce, cynique; en un mot : sublime ! du très bon cinéma avec une fin qui rappel "Psychose". Un délice terrifiant. Pour la première fois depuis plusieurs moi, j'ai vu un film qui m'a vraiment transporté ailleurs. J'ai vraiment oublié qui j'étais et où j'étais. Fascinant. Un film au sujet aussi démentiel que la réalité. Réalité si forte que les jeux de rôles perdent de plus en plus leur attrait. Aujourd'hui, Laurence et Aude devaient venir pour fin ir une partie. Elles se sont décommandées hier soior et cela m'a fait plaisir. Ne voir personne d'autre que ma mère a été un doux repos. Depuis mon arrivée, je n'avais pas été seul une journée. ça m'a fait du bien. J'ai pu écrire à Stéphane dont j'ai lu une lettre hier. C'est la personne avec laquelle je me sens le plus proche en ce moment. C'est un ami formidable.
J'ai planifié ma petite vie jusqu'en octobre.
Le 10 juillet, je repars à Giens par le même avion que Juliette. A deux, le voyage sera plus agréable. Mes parents me rejoignent le 13 sur la Côte d'Azur. Ils habiterons dans une location près de l'appartement de François jusqu'au 27 juillet. Pendant cette période, j'espère être en hôpital de jour pour être plus libre. Je rentrerai à la maison vers le 5 août et j'attendrai de pied ferme Stéphane qui désir faire un "tour de France des mucos". Le 3 septembre, je pars en Corse avec les Mucos Battants. On en reviens le 11. Je ferai une escale à Giens pour une cure de perfusions et puis après, Dieu,(ou"Dieu") seul sait ce qu'il se passera.
Ce matin, papa est parti à Athènes pour faire passer des examens de droit aux Grecs. Il revient dans une semaine. D'ici là je lui est promis de bien faire ma kiné. Il va d'ailleurs falloir surveiller ce que je crache, car, une semaine après les perfusions, cela semble à nouveau très infecté. Mais je tiens encore debout. Je n'ai jamais eu autant de projets de ma vie. Je voudrais m'offrir un autoradio, une minichaîne qui fasse laser, des étagères pour réorganiser ma chambre, lire quelques classiques de la littérature, voir les nouveaux films de l'été qui ont l'air prometteurs, continuer le "Cotylédon" (à condition qu'il paraisse un jour). Bref, j'ai encore beaucoup à faire, après deux années sabbatiques.

mercredi 18 juin 2008

La génération perdue J. Heuchel

le 18.06.90

Cela fait déjà trois jours que je passe à la maison. samedi matin, le 16, mes cousines sont arrivées pour presque une semaine. Elles dorment dans leur résidence secondaire, à Bosc le Hard, mais passent la journée ici. nous avons repris les jeux de rôles sur les chapeaux de roues.
Mais ce loisir m'attire moins qu'il y a deux ans, bien qu'il reste très agréable. Ma véritable vie est devenue si mouvementée que j'éprouve moins l'envie de m'évader dans un univers fantastique. Je subit l'influence de Giens. J'ai toujours été influencé par des tas de gens : jusqu'à l'année dernière c'était surtout par Law, mais, depuis Giens, beaucoup d'autres personnes sont entrées dans ma vie : Jean-Jacques, Stéphane, François, Juliette, Martine, Frédéric...
Mais de tous, ce sont Jean-Jacques et Stéphane qui ont eu le plus fort ascendant sur moi. Ces quinze derniers jours je les ai passé avec Stéphane le plus clair du temps. On a beaucoup parlé ensemble. Il est vraiment extraordinaire, à part... Ensemble on a fait le gros du Cotylédon, le journal des "Mucos Battants". J'espère qu'il va bientôt être tiré et distribué. Relancer ce magazine est, pour l'instant, mon principal centre d'intérêt. Il montrera un peu l'esprit muco au travers des textes et des dessins qui y figurent. Si les autres participaient après ce premier numéro, ce serait vraiment bien. J'aurai le sentiment d'avoir fait quelque chose d'utile.
Finalement, créer et susciter la création est à peu près la seule chose que l'on puisse faire... sauf aider les autres à vivre, à supporter le mal de vivre. Stéphane m'y aide. Il est plein de sagesse, même si, par moments, il est vraiment très négatif. C'est un ami qui devient de plus en plus proche. Avec lui je partage des tas de choses : la maladie d'abord, puis la littérature, la musique à laquelle il m'initie, et aussi les délires de notre correspondance. Il m'a redonné le moral, l'envie de m'améliorer physiquement pour attendre mieux et plus longtemps la greffe. je ne vais plus me laisser gentiment baisser sous prétexte que "Dieu" va me greffer. il faut que je remonte. Doucement, sans à -coups, pour éviter les complications, mais il faut que je remonte.
Je pose. Dans ce journal je pose et je me mets en valeur, m'a dit aussi Stéphane. "Le plus dur c'est d'être détaché de son journal tout en y inscrivant l'essentiel." "C'est très dur de ne pas se laisser emporter dans son élan et de ne pas écrire quelque chose de dithyrambique."
A-t-il lu ce que j'écris ? ou est-ce une constatation, fruit de sa propre expérience ? suis-je grotesque en racontant tout ça ? et si je brode, pour qui est-ce ? pour moi ? pour vous ?
Guy aussi voulait écrire un livre, mais il cherche un nègre car il ne sait pas faire passer l'émotion par écrit. Il voudrait faire un témoignage de ce qu'il est, de ce qu'être greffé représente. Un peu comme nous avec le Cotylédon. Guy a même voulu prendreStéphane comme nègre ! Mais il a refusé. Il a déclaré vouloir faire son entrée dans la littérature par la grande porte, pas par un témoignage. Il recherche plus de rigueur, de créativité littéraire. plus que ce que je pourrai sans doute jamais faire. Mais, déjà si l'un d'entre nous arrive à faire passer sa rage de vivre et sa force à d'autres, ça serait déjà ça.
Une rage, qui pour ma part s'est accrue lorsque j'ai réalisé que j'ai fait que ce que j'endurais profiterait à d'autres.
Mais voilà que la greffe n'est qu'un moment dans le traitement de la mucoviscidose. Voilà que l'on peut diagnostiquer la maladie chez le foetus, à temps pour faire une IVG. Voilà que, dans dix ans, l'on vaincra la mucoviscidose en prenant un petit comprimé bourré de la molécule manquante qui rend anormale le transport du chlore dans nos cellules. Voilà que les mucos disparaissent. La génération perdue. Ceux qui naissaient en 1960 mourraient, en moyenne, à deux ans. Ceux de 1990 mourront dans le ventre de leur mère, grâce à l'IVG. Ceux de 1980 verront l'évolution de la maladie stoppée par le remède miracle. ceux de 1970 devront être greffés pour survivre quelques années de plus, partagés entre l'hôpital et la maison.
Et pourtant, même s'il y a des moments pénibles, je veux vivre cette vie ! Je le veux plus que tout ! Une fois tous les mucos morts et ceux à venir avortés : problème résolu.
Le journaliste : "Il n'y a plus aucun malade mucoviscidosique. La maladie est donc vaincue ? N'est-ce pas , docteur ?"
Le docteur : "Oui, ils sont morts et nous tuons les nouveaux nés. La mucoviscidose est morte."
Imaginez Schwartzenberg dire : "Le cancer est vaincu. Désormais tous les malades sont brûlés dès le diagnostic fait."
Non, j'espère que des gens renonceront à l'IVG et prendront le risque de voir mourir leur enfant parce que c'est la seule façon courageuse et noble d'affronter la fatalité. C'est la seul façon décente de vaincre la maladie : en prolongeant la vie et non en la détruisant avant qu'elle ne le fasse.
Nous sommes la génération perdue, rats de laboratoire pensants, où la science tente de comprendre les anomalies de la vie. Mais si le remède miracle est trouvé et que, malgré cela, l'on avorte les mucoviscidosiques, alors l'humanité aura perdu un combat et nous seront vraiment perdus. Ayant vécu pour rien. Une vie à la dérive du temps.
Ai-je posé en racontant tout ça ?
C'est peut-être un peu théâtral, mais je n'arrive pas à m'exprimer bien de façon concise. (J'ai déjà du mal si je développe mon idée !) A l'avenir, j'essaierai d'être moins exhibitionniste tout en disant ce que j'ai à dire. Mais c'est un exercice difficile pour moi.
Mais ce journal ne doit pas devenir impersonnel et académique à force de recul pris par rapport à ma propre vanité. Montaigne disait :"On va plus facilement par les extrémités que par le milieu." Essayons tout de même.

samedi 14 juin 2008

Vacances J. Heuchel

le 14.06.90

Je repars demain par l'avion de 16 h 50. Je vais retrouver ma terre natale où il pleut deux jours sur trois, quand ce n'est pas trois sur deux.
Je suis un peu triste de quitter les copains, mais presque tous repartent ce week-end. Ce séjour à Giens a été très agréable. J'y ai revu mes meilleurs amis mucos, qui sont quasiment devenus mes meilleurs amis tout court. J'ai assisté au départ de Jean-Jacques et j'ai repris confiance dans mes possibilités physiques. Du moins je ne crains plus de faire un pneumo à chaque geste, même si ma psychose est toujours là.
Aujourd'hui, j'ai enfin appris de la bouche de Guy ce qui avait terrassé Christophe : un rejet chronique. C'est une mauvaise complication post-opératoire. On assimile pas assez la cyclosporine et l'on est en situation permanente de rejet.
A l'intérieur, le poumon greffé "pourrit". Il devient fibreux, comme lors d'une fibrose pulmonaire. une seule solution : une autre greffe. Christophe n'a pas tenu jusque là. D'ailleurs, Guy pense qu'il n'aurai pas pu supporter une autre intervention. Guy, lui, fait, semble-t-il, des spasmes bronchiques doublés d'une infection. Si ce n'est que cela, ce n'est pas trop grave. Il rentre demain à Paris avec moi, pour quelques jours de repos. Il en a besoin ; il est terriblement à cran et, comme moi en avril, s'acharne à démolir les autres. Rentrer chez lui est ce qui peut lui arriver de mieux. Bien qu'il doive rentrer à Marseille dès mardi pour subir une artériographie, il s'y ennuiera moins, car il sera avec les autres greffés venus faire un bilan de contrôle.
Je vais donc rentrer. Réfléchir et analyser au calme ces dernières semaines. de toute façon, je ne serai pas longtemps chez moi. Mon retour est déjà prévu aux alentours du 12 juillet.

lundi 9 juin 2008

Rat de laboratoire J. Heuchel

09.06.90

Guy est revenu au Coty. Il nous a raconté qu'il n'a pas quitté l'hôpital marseillais depuis ma dernière rencontre avec lui, mis à part 15 jours passés à Paris où il avait été fatigué et essoufflé. Il a été traité pour un rejet et va mieux depuis, mais reste très fatigué et essoufflé (surtout pour un greffé). Il a fait un tas d'examens à Marseille et est revenu ici pour décompresser un peu en attendant les résultats. Il faut dire que les hôpitaux de Marseille sont loin du paradis médical qu'est Giens.
Guy est vraiment déprimé. Il parle moins, se perd dans ses pensées et recherche moins le contact. Il part lentement à la dérive, n'a rien à voir avec le type exubérant et hyperpressé qu'il était avant. Il me fait penser à Christophe. Il est inexplicablement malade et les médecins ne comprennent pas ce qu'il a.
Aujourd'hui, France-Culture a diffusé l'émission de radio que j'avais enregistré en mars avec Stéphane et quelques autres.
C'était une émission intéressante, très intelligemment construite et pas misérabilisante. Il faut dire d'Antoine Spire, le journaliste qui nous a interviewés, qu'il s'était vraiment intéressé à la mucoviscidose et avait pris la peine de rester suffisamment longtemps pour nous comprendre. J'ai enregistré l'émission qui a été diffusé ce matin. A un moment, le Docteur Chazalette y évoque la greffe et cite le chiffre de 40% d'échecs. dans ce chiffre il inclut certainement Christophe. Christophe qui, d'après la psychologue, aurait une crise d'angoisse engendrant un arrêt cardiaque.
Mais peut-être est-ce une façon de nous masquer un échec médical ? c'est ce que croit Stéphane et je fini par penser comme lui. Ainsi en est-il de Guy, dont ils n'arrivent pas à savoir ce qu'il a. C'est que la greffe est récente (été 88 pour la première effectuée en France) et qu'ils sont encore en terrain inconnu, incapables de soigner et de comprendre certaines complications.
Guy a tiré un mauvais numéro.
Il s'en sortira peut-être, mais il va servir de cobaye pour les autres. ça c'est révoltant. A la fois ignoble et indispensable. il faut bien qu'il y ait un premier pour tout, mais en être réduit à l'état de rat de laboratoire, c'est atroce. Quand je le regarde et que je pense : "Peut-être qu'ils vont trouver, peut-être pas, ou peut-être trop tard", je n'ai plus très envie de cette greffe.
Mais il faut jouer le jeu. de toute façon, sans greffe je ne verrai peut-être pas Noël. Ce n'est pas parce que je respire très mal, mais c'est qu'un pneumothorax ou une hémoptysie fatals peuvent toujours se déclarer. pour l'instant, j'essaie de me maintenir pour être opéré dans les meilleures conditions. Comme Jean-Jacques. Qui était, toutes proportions gardées, en forme le jour de sa greffe.
J'ai beaucoup discuté avec Stéphane aujourd'hui. On a reparlé des photos que j'avais prises lors du départ de Jean-Jacques. je voulais essayer de fixer cet instant ahurissant, de capturer mon émotion pour l'éternité. mais Stéphane m'a fait ouvrir les yeux sur ma conduite. c'était du voyeurisme. Essayer de capter le regard d'un ami en cet instant, c'est pas terrible comme comportement. C'est digne du petit journaliste merdeux en quête de scoop. ça ressemble trop à ce que l'on voit dans Paris-Match et à l'exploitation des problèmes des autres. Même si c'est Jean-Jacques qui avait lancé l'idée de la photo, une ou deux auraient suffi. j'aurai plutôt dû essayer de le soutenir moralement. J'espère que Jean-Jacques n'aura pas cette vision des choses. J'ai déjà déçu Stéphane, ça m'a suffi. Enfin, ce soir nous sommes allés tous deux au resto chinois et on a réussi à oublier la greffe et la mucoviscidose pendant quelques heures.
Si je croyais Stéphane fini, il n'en est rien. Il est plus fort que jamais. Conscient de tout, l'acceptant et vivant avec. C'est un type bien, vraiment bien; et j'espère qu'on ressortira encore souvent au resto chinois, comme ce soir.

samedi 7 juin 2008

L'atout final J. Heuchel

07.06.90

Cela fera une semaine de post-greffe pour Jean-Jacques cette nuit. Il est toujours intubé, en réanimation à la Timone. il a subit, avant-hier, une trachéotomie pour l'aider à mieux respirer et épargner les cordes vocales abîmées par le tuyau du respirateur artificiel. ce n'est pas alarmant. La majorité des greffés sont trachéotomisés, surtout les garçons. depuis une semaine, Jean-Jacques n'a pas eu de gros problèmes. Pour l'instant, il se remet lentement, à un rythme tout à fait satisfaisant, d'après les médecins.
Ici, il hante le Coty. Les conversations tournent toutes autour de lui. Qui l'a vu le jour de la greffe y va de son commentaire. Chacun relate sa dernière rencontre avec Jean-Jacques aux poumons moribonds. Laetitia ne pense plus qu'à lui. Elle analyse sa relation avec lui, tentant de savoir si, oui ou non, elle doit rester avec lui. Elle et François sont allés à la Timone la nuit de sa greffe. Ils en sont revenus transformés. Laetitia a pris de l'assurance; elle est maintenant totalement intégrée au Coty, alors qu'elle était très secrète en janvier lorsque j'ai fais sa connaissance. François aussi a changé. Il est plus rieur, il met de l'ambiance de lui-même, tandis qu'auparavant il se contentait de commenter ladite ambiance. Mais il est resté très secret sur son réel état d'esprit. Il faut dire que lui aussi attend la greffe.
Stéphane, qui avait mal réagi, ne voyant dans le départ de Jean-Jacques que la conclusion ultimement tragique de l'échec d'une vie, commence à réaliser toute la porté de cette greffe. C'est comme une seconde naissance. Un nouveau départ. Une autre chance. C'est une lumière formidable au milieu des ténèbres. Et ce ne sont pas les ténèbres qui doivent masquer la lumière mais celle-ci qui doit illuminer les ténèbres. (C'est beau ce que je dis, sniff!). Non. Sérieusement, cette greffe, cette dernière carte, est terrifiante car c'est l'atout final. Il est certain qu'en elle-même l'idée que Jean-Jacques soit parti souriant vers une mort probable et vers des souffrances certaines est révoltante. Mais on est comme on naît. Et lorsque l'on naît muco, la greffe a un sens tout particulier. C'est l'occasion de prendre sa revanche et de surmonter la fatalité génétique, de reculer la mort préprogrammée. La greffe n'est pas la guérison totale, qu'importe ! Pour l'instant, c'est l'unique moyen thérapeutique qui permette de faire plus que de s'attaquer aux effets de la maladie. C'est le meilleur moyen de niquer la maladie.
Stéphane a tendance à trop considérer sa vie comme ratée et inutile. Pourtant, lundi soir, nous sommes allés sur le port avec Sonia, une jeune fille de 16 ans, elle aussi en attente, qui a su trouver les mots justes pour l'émouvoir. Elle lui a dit : "Je veux la greffe car ça ne peut plus continuer comme ça." Tout simplement. Il n'a rien rajouté, n'est pas reparti dans ses tirades sur le dégoût et l'inutilité de la vie. Il a juste acquiescé de la tête. Mais il ne veut toujours pas de greffe pour lui. Non pas qu'il en ait besoin rapidement. Simplement il l'a refuse. Il estime que, lorsque son heure sera venue, il n'aura aucun intérêt à s'accrocher. Il n'en aura même pas envie. Tout comme Didier.
Didier dort dans la chambre d'à côté. Il fait partie des mucos dits "en forme". C'est le batteur dont j'ai déjà parlé. Didier refuse lui aussi la greffe en ce qui le concerne. Il préfère vivre intensément le temps qui lui reste que se ménager pour tenir. Didier fume. Didier se défonce. Didier vit son tip comme il l'entend. C'est un type intègre avec lui-même. les apparences sont trompeuses. Il a l'air d'un zonard borné alors que, dès que l'on parle avec lui, il est surprenant de sincérité. Il est ouvert à tous, sympathique et agréable; il est un créateur à sa façon. Il fait de la musique, une forme d'art; il est intelligent et relax.
Il touche à l'herbe et fume comme un sapeur. Le genre de type que je Haïssais parce qu'ils se détruisent alors que je me bats pour vivre. En parlant avec lui, j'ai compris sa démarche. Il fume parce qu'il se sent bien en fumant. ça l'aide à encaisser les chocs de la vie. c'est une façon de tenir.
Interruption. Stéphane entre. Il me voit attablé à écrire. Là, je lui ai dit que j'écrivais un journal. Il m'a approuvé. Je sais depuis longtemps qu'il fait la même chose. C'est même lui qui m'a incité à écrire le mien. On a évoqué la difficulté d'analyse. Comment être sûr de ce qu'on écrit, alors qu'on est même pas sûr de savoir pourquoi on l'écrit ?
Je lui ai dit que Didier était quelqu'un que j'avais fini par comprendre, alors qu'il représentait l'autodestruction.
Du tac au tac, il a rétorqué : "Comprendre mais pas excuser. Il est en contradiction avec lui-même. Il fume et il va à l'hosto se soigner. S'il était honnête avec lui-même, il arrêterait les perfs. Mais c'est de la contradiction que vient la personnalité. Tout se contredit en étant à la fois indispensable l'un à l'autre. La musique, c'est du silence."
Voilà. C'est dit. Didier est conscient de cette contradiction, mais il ne fait rien contre.
Stéphane analyse remarquablement les choses. Il me sidère à chaque fois. Alors que, depuis "une heure", je tente de présenter et de comprendre Didier, il le décrit en quelques phrases. Je n'ai plus qu'à me recoucher. Et c'est Stéphane qui a conclut notre conversation par une autocritique : "En ce moment, je suis aigri. Il va falloir faire quelque chose. je ne sais pas quoi, mais quelque chose. Je suis grotesque. La vie est grotesque. Je pantaille."
Si lui, qui voit justement les choses, pense ça, où va-t-on ? je ne suis pourtant pas d'accord. La vie est apparemment grotesque à mon sens, mais elle porte en elle-même son utilité. Je ne sais pas comment le faire comprendre et encore moins l'écrire, mais j'ai foi en elle, en sa crédibilité. Peut-être n'est-ce que sottise ?
Ah ! J'oubliais !
Hier, j'ai vu "Dieu" à Marseille. Nous étions allés à un concert en faveur de l'association Maud (qui a maintenant une existence légale et dont c'était la première soirée). M. Noirclerc y était. Il m'a rassuré sur l'état de Jean-Jacques et m'a dit qu'un des prochains greffons était pour moi.
Si je veux arriver à comprendre le sens de la vie avant la greffe, j'ai intérêt à faire vite...

mardi 3 juin 2008

Programme idéal. J.Heuchel

le 03.06.90

L'oscillation est positive ! Jean-Jacques s'en tire bien. L'opération a duré six heures en elle-même, mais il est resté de 10 heures du soir à 7 heures le lendemain matin au bloc. Maintenant, il va vraiment morfler. Les suites post-opératoires vont être longues. Il doit être branché à des tas de tuyaux: drain pour évacuer le sang, voie centrale pour injecter des produits anti-rejets, intubation pour respirer le temps que les nerfs soient à nouveau opérationnels, sonde gastrique pour le nourrir, sonde urinaire pour pisser, sans compter les cathlons où l'on prélève et analyse le sang périodiquement, ni les électrodes cardiaques... Oui, il morfle Jean-Jacques. Mais il le voulait. Il ne voulait plus que ça. Il ne luttait contre la maladie que pour ça. Comment sera-t-il maintenant qu'il a réalisé son rêve, mais qu'il est encore prisonnier du corp médical ?
D'après sa soeur qui nous téléphone régulièrement, il a déjà demandé à boire. Mais cela ne sera pas possible avant deux jours (au mieux), le temps de le sevrer du respirateur artificiel.
Il les fait déjà chier ! Ah, il est vraiment unique cet Alsacien !
Ici, égoïstement, il nous manque. Elle était vraiment marrante sa grande gueule. Jean-Jacques mettait de l'animation. Il était comme une présence permanente (le pauvre) au Coty. Un ami, un vrai, un peu comme un grand frère. Comment sera-t-il après ?
La greffe transforme ceux qui n'en sortent pas les pieds devant : non pas que les greffés subissent l'influence du mort dont il a l'organe dans sa poitrine, comme je le craignais il y a deux ans, lorsque ma mère m'a parlé de greffe pour la première fois. Mais cette épreuve transforme celui qui la surmonte comme les cosmonautes qui sont allés sur la lune. L'on gagne une assurance, une confiance en soi, qui parfois confinent à l'orgueil et à la vanité. C'est tellement dur à passer, l'attente est tellement longue, qu'une fois opérés, les malades veulent tout et tout de suite. Il faut rattraper le temps perdu et, parfois, cet appétit de vie vous brûle comme une cigarette qui va se terminer. Une fois brûlé ce sursis, l'organisme (qui, bien que débarrassé de l'infection pulmonaire, reste atteint au niveau abdominal et qui, en plus, lutte contre le greffon et doit supporter les anti-rejets) déclare forfait et c'est la galère de nouveau. C'est , à mon avis, ce qui arrive à Guy. Il a trop tiré sur la corde. Et cela fait deux mois qu'il traîne à l'hosto sans que les médecins sachent ce qu'il a exactement. Dans ce cas, à quoi bon ?
Mais je pense que Jean-Jacques aura l'intelligence d'éviter le piège. Mais je ne suis pas devin.
Pour l'instant, il faut déjà qu'il sorte de réa post-greffe. Et c'est pas le morceau le moins dur à faire passer !Après j'aurai bien le temps de voir comment il évoluera. Mais je crains de n'avoir plus rien à lui dire après ça. Christelle était très causante avant sa greffe, mais, après, elle n'avait plus rien à nous dire. Que dire à des balourds qui ne connaissent pas l'épreuve ? Qui ne la traverseront peut-être pas. Sans compter une sorte de peur (bien naturelle, mais, quand même, ça fait mal quand vos anciens amis vous craignent comme un pestiféré) due à la contamination des non-greffés, pleins de microbes par rapport au greffé, immuno-dépressé et donc vulnérable.
Tout ça me trotte dans la tête. Notre amitié, si Jean-Jacques survit, survivra-t-elle ? A moins que je ne sois rapidement greffé et que je le rejoigne de l'autre côté. A ce moment, quel sera mon comportement avec les autres ? j'espère arriver à garder le contact, tout en me préservant. Mais, y arriverai-je ?
Je le saurai peut-être bientôt car, aujourd'hui, j'ai failli voir Dieu alias le professeur Noirclerc. Il est venu au Coty rendre visite à Gilles (qui est toujours au Coty 3 Centre, secteur post-greffe), donner des nouvelles de Jean-Jacques et me voir. Il a réussi à voir Gilles et donner des nouvelles de la superstar de la greffe qu'est Jean-Jacques. Par contre, il ne m'a pas vu. J'étais parti en permission voir Didier (un muco joueur de batterie vraiment sympa) en concert dans une fête foraine à côté de la Londe. je lui avais promis, avec les autres, de venir chauffer la foule et je n'ai pas pu attendre Dieu. D'autant plus que j'ai appris, en rentrant le soir, qu'il avait été en retard parce qu'il ne s'était pas réveillé à temps. Malgré le respect et l'admiration que j'ai pour "Dieu", je n'allais pas attendre toute la journée qu'il finisse sa sieste.
Il a dit qu'il voulait me voir. j'essaierai de lui téléphoner mardi pour savoir exactement les desseins qu'il a pour moi. La dernière fois que j'ai rencontrer Dieu, il m'a dit qu'il me grefferai avant les grandes vacances. il n'est pas trop tard et cela cadre avec le programme idéal que j'avais entrevu en mai :
Retour au Coty fin mai.
Greffe de Jean-Jacques début juin.
Greffe de ma personne mi-juin.
Sortie de la Timone fin juin, de ma personne.
Sortie de Salvator mi-juillet, toujours pour moi.
Sortie de Giens fin juillet, pour Jean-Jacques.
Sortie de Giens mi-août pour moi.
Reprise des cours début septembre pour moi.
Maxi fiesta avec Jean-Jacques, une fois chez lui, une chez moi dans l'année suivante.
Mais bon, maintenant je me dis que passer l'été à Marseille n'est pas la panacée. Et puis le farniente aidant, je n'ai plus vraiment envie de reprendre l'école. Je m'en doutais. Je l'ai toujours su. chaque fois que j'ai été malade, j'ai essayé quand même d'aller en classe. Je faisais mes perfusions à domicile très tôt le matin et le soir après les cours. J'allais en classe au maximum. Je ne savais que trop qu'une fois sorti du système, j'aurai beaucoup de mal à y replonger. J'ai déjà, après deux années sabbatiques, des difficultés à concentrer longtemps mon attention.
Oui, la reprise sera dure !
Mais maintenant je relativise beaucoup les études. Je sais que je ne pourrai jamais, même greffé, travailler à plein temps. Que je risque fort de faire des rejets la première année après la greffe. Que de toute façon, je n'aurai jamais de vrai métier et encore moins de carrière. Le pire c'est que je m'en fous car cela n'a plus aucun intérêt à mes yeux. Alors Johann, après la greffe : un déchet de la société ? un glandeur stupide ?
Non, je poursuivrai mes études, pour mon plaisir, pour savoir, par curiosité. mais j'irai à mon train, sans chercher à tout prix à décrocher des diplômes dont je ne ferai rien.
C'est peut-être minable comme ambition, mais vivre bien, en paix avec soi, c'est déjà beaucoup. Glandeur oui, mais glandeur conscient de la beauté du geste.
Pourtant, cela est terriblement égoïste.
J'ai beaucoup parlé avec Stéphane des rapports humains, de leur hypocrisie, de leur futilité, alors que chacun ne vit que pour soi. cette idée lui est intolérable. il veut plus. Il veut faire partager sa vie, sa pensée, ses émotions, mais y renonce de peur de ne rencontrer qu'incompréhension et de s'autoparodier dans une ridicule mise en scène de ce qu'il est. Devant ce problème sans solution, car oui, on ne vit que pour soi en définitive, il ne voit que le suicide, la fin, la mort. je ne devrai peut-être pas en parler et encore moins l'écrire : ici, n'importe qui d'un peu curieux peut tomber sur ces pages. Je le fais car j'ose (folie que tout cela) avoir confiance dans la discrétion des autres. Je le fais surtout parce que ces idées, si noires, si désabusées, si funestes, m'ont choqué. stéphane n'accepte pas la règle du jeu. Il veut plus de sincérité tout en craignant qu'elle ne le détruise par l'autodérision. Il reproche au monde d'être trop égoïste. Il ne pense pas qu'il soit possible de l'améliorer. Alors, il veut prendre les cartes et dire adieu à cette connerie. Attention, pas de tentative de suicide, mais un simple laisser-aller, une simple reddition devant la maladie et c'est la mort à petit feu au nez et à la barbe de tous : malades, médecins, psychologues, aides-soignantes, tous...
Pourtant le suicide est l'égoïsme suprême. Il faudrait lui faire comprendre cela. Quoique je doute qu'il n'y ait pas réponse. Pourtant ce type a une si grande richesse intérieure. Il est tellement créatif qu'il devrait trouver en lui-même la force de vivre. J'ai du mal à le comprendre. Y arriverai-je réellement ? C'est peut-être pour cela qu'il veut redonner ses cartes...