vendredi 7 mars 2008

Mucoviscidose : La femme à la faux J. Heuchel

Le 07.03.90

Je suis descendu hier au deuxième étage du pavillon Coty, dans le service des adultes et des malades ne présentant pas de complications. Il faut savoir que l'hôpital Renée-Sabran se trouve dans un grand parc de 40 hectares. Il est divisé en plusieurs pavillons. Les mucos sont dans le pavillon de la pédiatrie (bien que certains d'entre eux soient adultes). C'est le pavillon René Coty. Le service du docteur Chalazette s'étend sur la majorité du bâtiment, mais il y a aussi des brûlés, des accidentés et des réveils de coma. Pour moi, descendre au deuxième étage c'est à la fois la liberté et la tranquillité. La liberté, car je ne suis plus alité et surveillé constamment. La tranquillité, parce que, n'ayant déjà pas la fibre paternaliste, je n'appréciais pas trop les débordements des tout petits.
Enfin, tout cela c'est du détail. En fait, hier, l'événement a été l'enregistrement vidéo que l'on a fait sur Jean-Jacques. Avec un caméscope on a filmé ses dernières volontés avant la greffe, en offrant la bande au média le plus offrant. C'était un délire d'humour noir. L'humour, c'est ce qui permet de tenir ici. Depuis que je viens à Giens, une dizaine de personnes sont mortes. Sur celles-ci j'en connaissais huit. Cela fait un choc lorsqu'on apprend que l'un des malades avec qui on a parlé, ri ou partagé un bon moment est parti pour un monde que l'on dit meilleur. Avant de venir ici, je n'avais pour ainsi dire jamais vu d'autres mucos. Je ne pensais même pas que la maladie était si rapidement mortelle. Et surtout je n'était pas habitué à la mort de mes proches, d'autant plus quand ceux-ci avaient environ mon âge. C'est l'humour, la dérision qui m'ont aidé. Je n'imaginais pas que l'on puisse rire de sa mort tout en sachant qu'elle risquait de survenir rapidement. Le seul type de ma connaissance qui est fait ça avant c'était Desproges.
Maintenant que je côtoie la femme à la faux, j'ose la regarder en fasse. Je ne suis pas prêt à me résigner, je ne le serai jamais, mais elle me semble plus familière et parfois préférable à une agonie inutile où l'espoir s'amenuise peu à peu comme une lumière dont la flamme achève de consumer le peu d'oxygène qui lui reste. La mort est une grande inconnue. Mais c'est aussi la seule certitude de cette vie. Le but ultime de l'humanité c'est sans doute de la comprendre ou de la maîtriser. Alors l'homme sera aussi proche que possible de ce qu'il faut bien (faute de vocabulaire adéquat) appeler Dieu. En attendant cet instant qui ne viendra peut-être jamais, chacun d'entre nous tente de comprendre le sens de cette putain de vie. Le pourquoi du hasard et de la destinée.
Si tout cela a un sens j'espère que l'on comprendra lorsque l'on sera de l'autre côté du mur. En attendant, la seule chose que l'homme peut faire, ou du moins tenter, c'est de devenir meilleur. La perfectibilité est une des plus belles qualité humaine. Elle est l'espoir d'accéder au bonheur que tout être recherche. En cela la maladie est une chance. Grâce à elle on évolue plus vite. La souffrance, physique ou morale, forge l'âme. Je pense dire sans me tromper qu'à 19 ans, alors que mes copains ne pensent qu'à leurs études et à la drogue, j'ai depuis longtemps dépassé ce stade pour m'intéresser à l'essentielle. Et cela seule la maladie me l'a apporté.

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