mardi 4 mars 2008

Journal de Johann Heuchel

le 28.02.90

Je m'appelle Johann Heuchel, j'ai 19 ans, j'habite au 518 rue Villaine, Bosc-le-Hard ( Normandie), et aujourd'hui j'ai rencontré l'homme de la dernière chance. Il se nomme Michel Noirclerc.

le 02.03.90

Cela fait 2 mois ce matin que j'ai quitté la maison,. Je me souviens très bien de ce mardi. Le matin, après avoir regardé une vidéocassette de Meurtre dans un jardin Anglais, j'ai rassemblé mes derniers effets personnels - quelques photos, trois ou quatre romans, deux cassettes des Eurytmics -, j'ai rapidement déjeuné, et Yannick et moi sommes partis. On a retrouvé Colette à Rouen, pris le train pour Paris-Saint-Lazard. de là, un taxi nous a emmenés chez le Docteur Feigelson. Tous les quatre, nous avons mangé un couscous dans un petit resto du dix-septième et, quelques minutes plus tard, mes parents reprenaient le train pour Rouen.
J'ai dormi dans la salle d'attente du cabinet médical. C'était ma première nuit de l'année hors de chez moi. C'était la nuit du 2 au 3 janvier 1990.
Le lendemain, mon pédiatre et moi prenions l'avion pour Hyères, la ville d'Hyères-les-Palmiers. Hyères près de Toulon, un lieu de vacance idéal pour le Français moyen. Mais Hyères, près de la presqu'île de Giens, c'est aussi un lieu de repos pour le muco moyen. Si je suis venu sur la Côte d'Azur en hiver, ce n'est pas pour me ressourcer après une déception sentimentale, c'est pour sauver ma peau.
Car vois-tu, lecteur, je ne suis pas un homme comme les autres. D'aspect, j'ai l'air normal. Peut-être un peu maigre pour un enfant de 14 ans, penseras-tu en me voyant. Peut-être ai-je une petite grippe qui n'en fini pas, croiras-tu en m'entendant respirer et tousser. Mais rien de tout cela n'est vrai.
En réalité, j'ai la mucoviscidose.
Voilà. C'est dit. Le mot est lâché. Maintenant tu es mon confident, lecteur, maintenant, tu es dans le secret des Dieux.
Maintenant, tu sais que je dois lutter pour survivre et tu sais que cette lutte ne finira qu'avec la mort. Maintenant, tu sais pourquoi je suis venu sur la presqu'île de Giens à l'hôpital Renée Sabran, dans le service du docteur Chazalette.
Comment ? Je lis une lueur d'incompréhension dans tes yeux. Tu ne connais pas la mucoviscidose ? Et bien tu ferais mieux de t'en réjouir ! Écoute, un jour je te raconterai par le menu les symptômes et les conséquences de cette maladie. Pour l'instant, sache seulement qu'elle ne se transmet que des parents à enfants. C'est une maladie génétique, héréditaire en somme. Sache aussi qu'elle encombre les poumons d'un mucus si épais qu'il empêche la respiration et qu'elle est mortelle à plus ou moins longue échéance.
J'ai 19 ans, mon seul espoir d'en avoir un jour 30, c'est de me faire greffer des poumons sains. En fait, si cette opération ne peut pas se faire dans l'année, il y a de fortes chances pour que je ne voie pas le prochain mois de mars.
C'est pour cela que j'ai décidé d'écrire ce journal.
Parce que je pense que la vie vaut le coup d'être vécue et que si je ne suis plus là pour écrire dans un an, je vivrai encore à travers ce que j'écris aujourd'hui.

le 04.03.90

L'hôpital de Giens n'est pas un hôpital comme les autres. Et j'en ai vu des hôpitaux ! Cet hôpital a beau être à la pointe de la médecine moderne, il ressemble plus à une grande maison où chacun fait partie de la famille. Les malades reviennent périodiquement pour des cures d'antibiothérapie et finissent par tous se connaître. Ils forment une petite communauté, une bande de copains unis par la maladie, la douleur, mais aussi l'espoir, qui ne ressemble à aucun autre. Chacun étant intimement conscient de l'éphémérité de sa vie vit d'une façon tragiquement intense qui confère à chaque moment agréable une force que l'on ne retrouve nulle part ailleurs.
Les infirmières et les soignantes sont elles aussi comme des membres d'une famille. Elles sont un peu les mères des malades qui viennent ici depuis longtemps. Elles sont celles qui côtoient le plus les malades et partagent même parfois leurs loisirs avec les nôtres. Oui, ici ce n'est pas un hôpital et pourtant dans chaque pièce des gens sont morts. Le dernier, un enfant qui avait juste 15 ans, est décédé il y a à peine trois semaines. C'est un pied de nez du destin quand on pense que ce même enfant disait il y a un an, juste après sa greffe, que celle-ci lui faisait voir les choses différemment. En fait, quelques mois plus tard, des problèmes dont je ne sais rien de sûr juste quelques rumeurs) l'ont obligé à retourner à Giens pour finalement y mourir. Il lui fallait une seconde greffe ! Voilà le vrai problème : la greffe seule peut nous sauver, mais l'on peut mourir pendant l'opération ou après faire des rejets (eux aussi mortels) sans parler des complications éventuelles.
De là naît tout le piment de la chose. C'est un dilemme constant auquel est soumis l'esprit. D'un côté la greffe est salvatrice et on la souhaite de toute nos forces. Et de l'autre elle reste risquée et dangereuse. d'un côté on peu mourir en attendant un greffon qui ne viendra peut-être jamais. Et de l'autre on peut mourir sur le billard alors que l'on avait encore plusieurs mois à vivre. J'ai des amis qui sont morts des deux façons. Heureusement, j'ai aussi des amis qui ont survécu et qui vont bien. Entre les deux, ma raison et mon coeur balancent, oscillant entre le fatalisme et l'espoir. Ce journal sera l'histoire de cette oscillation.

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