samedi 26 avril 2008

Je niquerai la muco J. Heuchel

le 26.04.90

La maison, ma maison (même si ce sont mes parents qui en sont les propriétaires), mon village natal, mes amis, mon entourage, ma Normandie... Tout cela m'apaise. je suis plus calme. Peu à peu, mes nerfs retombent. je ne m'emporte plus aussi facilement qu'il y a trois semaines. Être loin du Coty... décompresser... remettre le compte-tour à zéro et les pendules à l'heure.
Bien que je pense toujours aux autres qui sont là-bas, et qui y sont parce qu'ils sont gravement malades, mon esprit commence à pouvoir se payer des vacances. Ce week-end mes cousines sont venues jouer à la maison, au désormais célèbre jeu de rôles, et j'ai réussi à penser à autre chose pendant la majeure partie du temps.
Je recommence aussi à pouvoir lire, à fixer mon attention plus de cinq minutes sur un livre. En ce moment je suis plongé dans les Tommyknockers de Stéphen King. dire que j'aime cet auteur serait mentir : je le VÉNÈRE !
C'est grâce à des gens comme lui que le monde change. C'est un pionnier de la littérature d'épouvante. comme Asimov et Herbert étaient des pionniers de la SF. Aujourd'hui, ces derniers sont étudiés dans les universités. Demain, ce sera le tour de King !
Mais peut-être faut-il attendre pour cela qu'il soit mort ! Les universitaires comme la postérité ont tendance à ne reconnaître le talent que lorsqu'il s'est éteint !
En tout cas, moi, je n'ai pas attendu, pour lui rendre hommage, qu'il soit mort (heureusement d'ailleurs car je risque de crever avant lui !). J'ai donc baptisé ma nouvelle voiture "Joséphine" par allusion à son livre Christine. Eh oui, j'ai une voiture ! Vive l'indépendance et l'autonomie ! Quand je repartirai à Giens par avion, mon père descendra par la route avec Joséphine. Ainsi, je pourrai aller ou je voudrai pendant les heures de permission. Librairie Atlantis, me voici !
Mais je m'égare...
Ma voiture s'appelle Joséphine. Comme ça elle a les mêmes initiales que moi. Le prénom féminin rappelle Christine (il rime même avec). Et en plus, Joséphine est le nom de code de Nikita dans le film de Besson. Hommage aussi à Besson donc.
Mais, là où tout se recoupe, c'est lorsqu'on s'aperçoit que Christine, comme Joséphine-Nikita-Marie, est une tueuse, une meurtrière qui cache bien son jeu.
De cette façon, chaque fois que je suis derrière le volant de Joséphine, je repense aux dangers de la circulation. Ce qui devrait m'éviter de rouler comme un dingue, c'est-à-dire d'éviter de rouler avec le style MUCO. Parce qu'attendre une greffe depuis bientôt un an et crever sur la route d'un accident stupide me transformerait moi-même en greffon ! Enfin s'il y a quelque chose de bon à prélever. Les yeux peut-être ? Avouez que ce serait une belle ironie du destin. Alors je roule calmement.
D'ailleurs je n'ai rien à prouver derrière le volant d'une voiture. la vie se joue suffisamment de moi pour que je ne joue pas avec elle !
Par contre, un jouir je niquerai la mucoviscidose !
Pour commencer, enfin j'ai déjà commencé ce genre de truc avec les médias, ce soir je vais avec mes parents à une réunion à Rouen en faveur des greffes. Je vais parler en direct, devant une assemblée (les boules, je flippe rien que d'y penser !) pour essayer d'obtenir des gens qu'ils envisagent le problème des dons d'organes autrement que comme un mec du Sahara pense à la neige. Je voudrais qu'ils y pensent de façon concrète. Déjà ça, si j'y arrive, j'aurai gagné une bataille.

dimanche 20 avril 2008

J'ai changé J. Heuchel

20.04.90

Comme je me l'étais promis à Giens, j'emploie le plus intensément possible ces quelques jours à la maison. Cela fait maintenant une semaine que j'ai quitté la Côte d'Azur. pour l'instant, point de vue médical,tout va bien. Après une grippette de quatre jours, je crois être guéri. Plus de fièvre, juste un rhume qui continue à m'insupporter de temps en temps. En une semaine j'ai réussi à revoir mes meilleurs amis d'ici : Thierry, Eric, Laurence et Aude. (Quoique j'avais déjà vu ces dernières une semaine là-bas.) Je suis content d'avoir pu les revoir. Dimanche prochain je vais essayer de faire venir Eric, Laurence et Aude, et Olivier (un copain d'Eric que j'ai connu à "J.B.", mon ancienne école) pour jouer une partie de Cthullu. Ce soir je vais au cinéma voir Cyrano de Bergerac de gerbe en vrac, version 1990. J'ai lu la pièce il y a environ 5 ou 6 ans et plus j'y repense plus j'aime me voir en Cyrano. Non pas que j'ai un nez aussi grand (quoique !) mais parce que, comme lui, je tente de contrebalance mon handicap physique par mon esprit. Et vu que je fais flasher que les filles de 13 ans, il y a du boulot... Surtout quand on sait qu'elles ne flashent que parce que j'ai six ans de plus qu'elles... A ce propos, Stéphane (à qui j'ai raconté mon aventure au Pradet) m'a écrit pour me dire qu'il avait apprécié le discours que je leur avais tenu. Mais que je devrai prendre garde à l'exhibitionnisme.
Moi, Johann Heuchel the Flasher ?
Après tout, peut-être n'a-t-il pas tort. je m'en suis aperçu cette semaine chez mes copains. Avant ce long séjour je ne parlais jamais de la muco. Je détestais que ma mère en parle. Non pas que je niais la maladie (j'avais passé ce stade depuis déjà plus d'un an), mais surtout parce que je ne voulais pas m'attirer des regards chargés de compassion (de pitié, même), surtout si cette compassion était feinte. Je ne parlais pas de la muco, car, comme un Normand indécrottable, je ne voulais pas partager ces idées sur la maladie avec les autres non mucos.
Mais, lundi chez Eric, et jeudi chez Thierry, je n'ai pas pu m'empêcher de raconter plus ou moins en détail ces trois derniers mois. J'ai même dis à Thierry et à sa mère qu'en trois mois il y avait eu trois morts. je lui ai parlé (par allusion assez clair) d'Eric Chabaud qui est décédé en janvier après une greffe foireuse. J'ai dis à Eric que certains fumaient et pas seulement du tabac. Lors de ces deux conversations j'ai failli tout déballer : la mort d'Eric , celle de Christophe, la drogue, la folie qui fait que les mucos jouent avec leur vie comme d'autres jouent leur argent au Casino. Le quitte ou double. ça passe ou ça casse, et si ça casse, çà n'en fera qu'un de plus là-haut. "A la terrasse du temps qui passe...", comme a écrit Jean-Jacques dans un poème de sa composition. D'ailleurs, "on aura bientôt plus de potes là-haut qu'ici, en bas", avait dit Christophe quelques jours avant sa mort.
Je ne sais pas ce qui se passe. J'ai envie de crier aux autres qu'ils ont du bol, que la retraite est pour moi comme une chose irréelle. Hier, alors que je critiquais (je suis pourri, moi, c'est pas permis) ma grand-mère maternelle qui devient sénile, la maman de Thierry - qui sens peut-être l'âge de la retraite venir - m'a dit : " Tu verras quand tu sera vieux" ou quelque chose de ce style. J'ai répondu : "Pas de danger que je devienne vieux." Je ne sais pas si elle a compris. J'aurai dû dire : " Je suis déjà vieux." Mais j'ai peut-être bien fait de ne pas avoir l'idée de cette réplique à ce moment. Parfois mon esprit s'échauffe. J'ai envie de dire aux autres la morale de la BD de Stéphane Adam, La mouche éphémère :
"Pourquoi faut-il apprécier les choses quand elles touches à leur fin ?"
Je me sens las. Que m'est-il arrivé en trois mois ? J'ai changé. En bien ou en mal ? ça reste à voir.
Par moments j'ai l'impression d'effleurer la folie. Mon esprit enchaîne sur une suite de mots, d'expressions,dont la suite logique est si ténue, qu'après coup je n'arrive pas toujours à la reconstruire. Comme je ne sais plus quoi écrire maintenant. Cette démonstration devait m'emmener quelque part, mais où ? Oui, j'ai changé. Je le sens. Je le ressens. Au départ je ne parlais jamais de moi, de mes problèmes. Je me disais que les gens qui vont pleurer et raconter leurs misères auprès des médias sont des crétins sans force morale. Je les méprisais. J'étais un pro-écolo. Je pensais que l'innocence de l'animal était préférable à la stupidité calculatrice de l'homme. J'aurai sacrifié un homme plutôt que mon chat.
Et maintenant je suis passé à la télé avec, au-dessus de ma tête, les mots "Hôpital Renée-Sabran (Giens) spécialisé dans la mucoviscidose". J'ai même pris une photo de l'écran télé. je suis passé à FR; j'ai demandé à me faire interviewer à France Culture. J'ai été demander un greffon, des greffons. Et le 11 mai (enfin je ne suis plus très sûr de la date) je vais aller à un colloque sur les greffes à Rouen. je vais parler devant une salle (pleine ,) de ma vie, de mes problèmes à des inconnus, alors que, simplement deux ans auparavant, j'aurais fustigé ma mère du regard si elle avait dit à une de mes amies que j'étais fatigué.
L'autre jour, à Salvator, on a volé des chiens, des cobayes de M. Noirclerc. j'ai été scandalisé, alors qu'avant j'aurai sans doute applaudi des deux mains. J'ai même failli appeler RTL pour défendre Noirclerc, mais mon père m'a devancé. En un mot je suis devenu un exhibitionniste de la muco. Tout ça n'est-il pas en train de me bouffer la tête ? Où est passé l'ancien Johann ?
Ma vie bascule. Mes idéaux changent. Hier encore, chez des amis de mes parents, j'ai failli m'énerver quand le père de famille a déclaré que Calvet était un bon patron. Et aussi quand la mère a sorti une connerie sur Harlem Désir. Qu'est-ce qu'ils en savent de la vie des ouvriers de chez Peugeot et des crimes racistes ? Rien, à part ce qu'en dit la télé. dans ce cas, à mon avis, on ferme sa gueule. Comme moi. Chez eux, je me suis senti l'âme socialiste. En fait, c'est à leur façon d'avoir un avis sur tout, tout en ne sachant rien. Là aussi j'ai changé. Je ne me rappel plus ce que j'ai répondu, mais je n'aurai jamais osé le faire il y a quelques années. Comme je n'aurai jamais osé parler à France-Culture. Je change. Et ce changement trop rapide m'effraie. Peut-être ai-je seulement besoin de parler un peu. je parle déjà à toi, lecteur, c'est déjà ça de pris. ce qui m'effraie, c'est de changer à cause de la mucoviscidose, à cause de la mort. Je ne vaux pas mieux que n'importe qui. quand je vois la femme à la faucille à l'horizon je me raccroche à ce que je peux.
Je renie mon militantisme à la Bardot et je suis prêt à voir crever tous les chiens de la planète pour survivre. Je vais pleurnicher à la télé. Si j'étais bien portant je serai fondamentalement différent. Je serais sans doute un grand connard fasciste et macho qui croit en la loi du plus fort. On est tous prisonniers de son corps. On pense tous comme notre corps nous incite à penser.
Mais si l'esprit dépend du corps et que le corps dépend de la génétique, alors l'esprit, la pensée, comme le reste sont inscrits en nous. Il est alors inévitable d'être amené à penser ainsi, de telle façon. On n'y peut rien. Tout est programmé et l'homme est le jouet de ses chromosomes sur lesquels le pouvoir conscient, la pensée, le moi, n'ont aucune prise. Alors tout est une vaste farce ! La vie est déjà une comédie écrite. pas d'improvisation. Si la pensée elle-même est incontrôlable, il n'y a plus qu'à se jeter du cinquantième étage.
Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je suis déstabilisé. est-ce que je grandis et mûris réellement ? est-ce que je deviens fou ? est-ce que je suis une marionnette qui s'agite en voyant la fin du spectacle arriver ?
Est-ce que j'ai simplement ouvert les yeux sur ce qu'est la vie ? est-ce que ma pensée est autonome ou suis-je "programmé" par avance par un dieu dément ? Je ne sais pas. Je ne saurai sans doute jamais. L'humanité elle-même ne le sait pas.
Ce que je sais, par contre, c'est que je vais aller casser la croûte, parce que ces élucubrations m'ont filé faim.
Et puis, finalement, le doute est le propre de l'intelligence. Quelqu'un qui ne douterait pas serait un sot qui n'aurait pas vu la chose sous tous les angles. Or, l'intelligence caractérise l'esprit. Et, à plus forte raison, l'esprit critique. Alors, si je suis capable de douter, c'est que j'existe par moi-même. Je suis moi. JOHANN HEUCHEL. Et je suis encore perfectible.

jeudi 17 avril 2008

Retour à la case départ J. Heuchel

le 17.04.90

Je suis chez moi. Retour à la case départ, à la case Bosc-le-Hard. Je n'écris plus sur une table roulante que l'on glisse sous un lit d'hôpital sinistre. J'écris sur une table de bois contre-plaqué munie de jolis tréteaux rouges. Fini le papier bleuté et aseptisé. Bonjour la mansarde de lattes de bois décorée d'une petite centaine d'affiches grandes et petites. pourtant une chose me reste de l'hôpital : la musique. Sur mon radiocassette passe le sublime et terrifiant THE WALL, hymne à la vie, à la mort, à l'espoir et au déchirement. cette musique est géniale, obsédante, folle et grandiose. Dès que j'aurai le temps et l'argent j'irai à la FNAC de Rouen et je m'achèterai le film pour pouvoir me passer à loisir ces images sorties d'une imagination en délire.
En attendant, j'observe mon chat Lookheed jouer avec l'élastique qui est censé retenir ensemble toutes les lettres que j'ai reçu là-bas. Durant ces trois mois j'ai entamé une correspondance avec plusieurs personnes et j'en suis ravi. Bien sûr, la plupart sont des copains mucos, je reste donc toujours un peu dans le même milieu, mais les mucos ont souvent plus à dire que les autres. Et puis, après ce que j'ai vécu, je ne crois pas pouvoir revoir les choses comme avant. Il y a deux ans je vivais comme tout un chacun, uniquement inquiet pour le résultat de mon interro de maths et uniquement intéressé par ce à quoi j'allais meubler mon week-end. Maintenant je ressens plus fortement les choses. Les loisirs sont toujours agréables mais ils ne sont plus une fin en eux-mêmes. Je ne vis plus pour jouer mais pour simplement ressentir la vie. Est-ce cela être adulte ?
Bah ! Ce n'est pas mal alors, mais c'est moins drôle.
Moins drôle mais plus fort, plus puissant, plus intense.

vendredi 11 avril 2008

Demain 15 h 15 J. Heuchel

le 11.04.90

Je part demain. Cette fois-ci c'est ferme et définitif. J'ai l'accord des médecin, de l'interne à Noirclerc. Je repars avec mes parents et Laurence et Aude par l'avion de 15 h 15. Je vais enfin revoir mon chez moi. Reprendre quelque temps une vie normale. Ces derniers jours, le fait de revoir des amis (mes cousines) m'avait encore plus donné envie de rentrer.
Par contre, je me sens un peu lâche de laisser Jean-Jacques et Frédérique (qui attend une greffe double, foie-poumons) ici. Mais, s'ils étaient dans mon cas ils auraient agi comme moi. Et je les aurais compris. D'ailleurs, ils ne m'en veulent pas du tout. On s'entendait bien, mais, comme avec Stéphane, on s'écrira et puis on se reverra bientôt. Dès que je suis à nouveau infecté je redescends à Giens. D'après l'interne, cela aura lieu d'ici vingt à trente jours.
Hier et ce soir j'ai invité mes copains du "2 est" à dîner à la location. Les deux soirées étaient sympa. Surtout ce soir où l'on était moins nombreux.
Juste avant de se coucher, Fred m'a dit avoir apprécié lui aussi la soirée. Tant mieux si ce soir il a pu se distraire un peu. Lui aussi en a besoin. Demain, il sera là depuis deux mois. Comme moi-même lorsque j'ai commencé la rédaction de ce journal. D'ailleurs, lui aussi m'a fait part de son désir d'en tenir un. Je le lui conseillerai demain avant de partir. Écrire les choses aide souvent à voir plus clair en soi et permet de faire le point. Écrire clarifie les idées et soulage l'âme d'un fardeau parfois difficile à porter. Un autre qui devrai tenir un journal, c'est Guy. Il est parti lundi à la Timone (ou à Salvator, je ne sais pas exactement) pour se faire soigner loin des mucos non greffés qui le contamineraient. Lui, qui est si rapide, qui vit à deux cents à l'heure, devrait prendre le temps d'écrire les choses. ça lui ferait certainement du bien de s'arrêter de temps à autre et de réfléchir calmement. Enfin, il fait sa vie ! Je ne vais pas faire la morale à mon âge tout de même ! (Quoique je trouve que j'ai souvent tendance à la faire depuis quelques mois. J'espère quand même ne pas devenir un vieux con empêtré dans ses principes !).
Voilà. Il est minuit sept. Le Coty, plongé dans la nuit, s'est endormi. Dans quelques instants je vais poser ma plume. Je reprendrai la rédaction de ce journal dans ma vraie chambre d'ici quelques heures. Quoique j'ai temps de choses à faire à la maison que je n'aurai peut-être pas le temps de beaucoup écrire...

lundi 7 avril 2008

Pas fini de me marrer ! J. Heuchel

le 07.04.90

Je n'ai pas été appelé cette fois-ci. Pour le week-end je ne suis pas en extrême urgence. D'ailleurs personne n'y est car le professeur Noirclerc est en Belgique. Mais Lundi (et jusqu'au mercredi 11 avril si j'ai bien compris) je suis à nouveau prioritaire. Passé ce délai, en accord avec le docteur Chazalette, je rentrerai chez moi pour la "mi-temps", comme il dit avec son humour si spécial.
Je ne sais que désirer. L'envie d'être greffé et d'être débarrassé du traitement habituel est formidable. Je pourrai à nouveau courir, gambader, faire le fou, rire, m'éclater sans être essoufflé après trois secondes. La toux et l'essoufflement me fatiguent à tel point que je me retiens de rire parfois. Mais d'autres part, l'envie de rentrer est énorme aussi. Revoir mes amis, ma maison, mes animaux... tout un programme ! En tout cas, hier après-midi Colette (ma mère), Yannick (mon père), Laurence (ma cousine) et Aude (la soeur de la précédente) sont arrivés à Giens pour une semaine. Cela m'a fait plaisir de les revoir tous. J'étais tellement heureux et excité que j'ai senti ma tension monter et ai craint un moment de refaire une hémoptysie (paranoïa quand tu nous tiens !). Hier soir nous avons fait une parte de "détective conseil". ça m'a fait du bien. Pendant une heure j'ai oublié les mots mucoviscidose et greffe. Je suis ressorti retapé de la partie. Aujourd'hui nous sommes allés en bus à Hyères. J'ai montré à mes cousines le temples du jeu de rôles et du fantastique, c'est-à-dire la librairie Atlantis. J'ai fait du lèche-vitrines, acheté des trucs, je me suis fait plaisir. Ce soir j'ai dîné dans l'appartement qu'ont loué mes parents. J'ai vu autre chose que des femmes en blouse blanche et des malades, crachant à chaque fou rire stupide. J'ai vu une maison simple, sans tuyaux d'oxygène qui courent le long des murs et sans "salle de soins", le chien des propriétaires, et j'ai un peu décompressé. Un peu, parce que l'on a beaucoup parlé des trois derniers mois passés ici. Mais ça m'a fait du bien.
Les autres sont sortis aussi.
Ce soir, c'est samedi. Permission de minuit. Ils sont allés au bowling. Ils ne vont pas tarder à rentrer. J'espère que Guy sera moins angoissé. En effet, depuis le jour où il a été filmé avec les autres greffés il est resté ici pour des perfusions. Mais hier, il a appris que ce qu'il croyait être une petite surinfection attrapée à l'hôpital Salvator (à Marseille), pendant une fibroscopie, était en réalité un rejet.
Lundi, il rentre en urgence à Salvator pour un traitement massif d'immunodépresseur. Il ne peut rentrer avant car le docteur compétent est (lui aussi, sic!) absent pour le week-end. Vous pouvez être malade en France, mais le week-end c'est à vos risques et périls, car les médecins sont absents ! Guy, qui avait toujours un moral d'acier,a été ébranlé. Il se voit déjà finir comme le jeune Christophe, qui est décédé en février. Il faut dire qu'ils étaient très liés et que Christophe, comme Guy, a commencé à avoir des problèmes six mois environ après la greffe. Enfin, ce soir Guy a pensé au "strikes" et non aux copains morts. C'est déjà ça. Et lui a plus de force pour s'en sortir que n'en avait Christophe. Néanmoins, cela fait réfléchir. La greffe n'est quand même pas la solution miracle. Même après on peut continuer à fréquenter le Coty. Mais, comme dirait Jean-Jacques: "Si c'est pas la greffe, c'est la tombe. Alors autant essayer la greffe! "
Et, comme dirait le chroniqueur des aventures de Conan : Il est toujours bien assez tôt d'y retourner dans la tombe." Alors pour ce soir je vais oublier un peu de ces pensées sinistres (si je peux) et m'endormir au son des DOORS dont j'ai acheté cet après-midi le best of.
Il y a plein de choses dont je veux profiter avant de crever. Il est trop tôt pour mourir. Je n'ai pas encore vu ce que je voulais voir, ni même entendu ce que j'ai à entendre. Si la mort veut me rattraper, elle attendra que j'aie fini de me marrer.

jeudi 3 avril 2008

Extrême urgence J. Heuchel

le 03.04.90

Ce matin je suis allé voir le docteur Chazalette dans son bureau. Je suis passé en liste d'extrême urgence, comme Jean-Jacques, il y a moins d'un mois. Maintenant, je suis tout prêt du but. Je peux rater ma chance mais je n'ai jamais approché la greffe d'aussi près. cette fois il est trop tard pour faire machine arrière. je suis en super urgence jusqu'à vendredi. Ce week-end le professeur Noirclerc est absent, je serai retiré des listes. Lundi, après le staff, on verra comment la situation évolue...
J'ai à la fois hâte et peur, envie et en même temps pas envie. D'une heure à l'autre, je change d'optique. L'oscillation n'a jamais été aussi forte. Ce soir je suis fatigué (peut-être les nerfs ?). Je n'ai pas assez dormi ces dernières nuits en voulant rédiger ce journal. Aujourd'hui j'ai tourné en rond dans le Coty, me mêlant par hasard aux conversations mais l'esprit toujours occupé par ce mot : GREFFE. J'ai un peu la même sensation que lorsqu'un ami meurt. J'y pense mais je n'en parle pas de moi-même. Je ne refuse pas d'aborder le sujet, mais je ne lance pas la conversation dessus. Je me sent chaud. J'ai peut-être un peu de fièvre. Est-ce l'excitation ou la pluie inhabituelle ici et incessante depuis hier après-midi ? Je crois. Avec la dose d'antibiotique que j'ai, le microbe (si j'en ai chopé un) va vite crever. pour l'instant je vais me coucher comme ça et si mon sommeil est mauvais je demanderai un Doliprane. Cette fois ça y est, je suis au pied du mur. je peux partir à chaque seconde. Je n'aurai peut-être pas le temps de finir ma phrase. Ah, tiens, si ! La greffe attend encore.
Pour me changer les idées mes parents vont descendre avec mes cousines pendant une semaine. Je pense que si durant cette semaine à venir je suis éjecté de la liste d'extrême urgence je rentrerai 10 à 15 jours chez moi. J'y ai temps de choses à faire.
Ma plus grosse crainte est, après déjà trois mois d'hosto, de craquer en réanimation (surtout si je ne peux pas parler !). Enfin je pourrai toujours écrire et essayer de continuer ceci. J'espère en avoir la volonté. On dit que le souvenir est affecté et que l'on oublie les premiers jours de réa. Dans quelques années ceci sera donc la seule trace qui restera de ces journées post-opératoires. Et le souvenir est tout ce qui reste.

mercredi 2 avril 2008

Le staff : Stade d'urgence J. Heuchel

le 02.04.90

Hier, Jean-Jacques est revenu à Giens. C'est pour lui la dernière ligne droite avant la greffe. Maintenant, il reverra sa maison qu'avec des poumons neufs. M. Noirclerc ne veut plus qu'il prenne le risque de remonter en Alsace. Le problème, c'est que, pour moi aussi, la greffe devient imminente. Aujourd'hui se tenait le staff à Marseille. Le staff c'est cette réunion où tous les médecins (Noirclerc, Chazalette, Camboulives, Métras, etc.) discutent des cas. ils les évaluent et définissent des priorités ! A son retour, un des deux internes du service, Jacques pour ne pas le nommer, m'a annoncé que j'étais au même stade d'urgence que Jean-Jacques. donc, par voie de conséquence, je ne devrais pas pouvoir rentrer le 9 avril comme prévu. Je suis indécis. Que faire ? Attendre ici, c'est la sagesse. Si je suis appelé de Normandie, je risque de ne pas être à temps à la Timone.
Remonter, c'est la relaxation. Après trois mois d'hôpital je suis presque à bout de ma patience. Là-haut m'attendent mes cousines, mes parents, Thierry, un de mes meilleurs amis, Eric, autre cousin et Olivier, autre ami. Il y a aussi d'autres personnes que je voudrais revoir. Notamment Mme Binctin, ma prof d'histoire-géo, qui est la seule de mon lycée à m'écrire encore.
Je voudrais aussi m'acheter une voiture pour être autonome une fois revenu à Giens. Il y a aussi Lookheed et amandine, mes chats qui me manquent. Je dois aussi acheter un autoradio (enfin si j'ai la voiture) et réaménager ma chambre qui doit être un souk avec ce que tout ce que mes parents y ont entassé. Que de projets !
Il faudra aussi que je fasse un testament, ça peut-être utile. Quoique cela risque de me porter la mouise ! Mais si je loupe un greffon, je loupe la chance de ma vie ! Et la chance ne frappe pas toujours deux fois à la porte. Que faire ? c'est peut-être la décision la plus importante de ma vie, alors je vais continuer à y penser. Rester pour ne pas manquer un greffon ou repartir pour recharger les accus ? That is the question. Privilégier l'aspect médical et chirurgical ou l'aspect psychologique ? Si l'on savait répondre à coup sûr à cette question, beaucoup de vies seraient sauvées... On dit que la nuit porte conseil. Il est maintenant minuit trente-cinq minutes. Nous sommes le 03 avril. On verra çà tout à l'heure au réveil.