dimanche 27 juillet 2008

Jalousie de muco J. Heuchel

Le 27.07.90

Je dors maintenant seul dans cette chambre. Ce n'est plus la peine de se cacher pour écrire. Ces derniers jours ont étés très agités. D'abord j'ai revu Jean-Jacques. Il est revenu le 25, après cinq semaines de réa et trois à Salvator. Il a beaucoup maigri, surtout des jambes, à cause de l'immobilité. Son visage aussi est creusé : Il a l'air d'avoir cinq ans de plus.
J'ai pu discuter avec lui. Il n'est pas aussi "déconnecté" que je le pensais, bien qu'il ne parle pas trop. Guy aussi est revenu. Son état semble stationnaire. Depuis la dernière fois, il a finalement passé dix jours à Paris et à dû redescendre d'urgence à Marseille où il est resté (encore) un mois.
Marseille. A tout jamais cette ville sera liée dans mon esprit aux situations critiques.
Ce soir, Joseph a fait une hémoptysie. C'est la septième en trois jours. Il s'est déjà fait amboliser deux fois et revenait, cet après-midi, de Marseille. A peine deux heures après mon arrivée, il a recraché du sang. Le SAMU l'a ramené à Marseille, où il sera soigné efficacement. Peut-être vont-ils l'opérer pour ligaturer l'artère abîmée.
Il y a une greffe le 24. C'est Laurent qui est parti. Il avait, à peu de chose près, les mêmes caractéristiques pulmonaires que moi. En d'autres termes, c'était lui ou moi. c'est lui qui a été choisi parce que, m'a dit le docteur Chazalette, "le greffon était plus proche de lui". J'ai beau dire depuis mai que je ne cours pas après la greffe et que je préfère tenir le plus longtemps possible, j'ai été sur les nerfs pendant deux ou trois jours. En fait, cela m'a plus énervé que je ne l'aurais cru. Inconsciemment, je dois être terriblement jaloux de lui. C'est la première fois que je ne suis pas heureux après une greffe, alors que je préfère, consciemment cette fois, que ce soit lui qui soit passé.
J'ai aussi une déshydratation. Je ne supporte pas la chaleur de l'été sur la côte. hier soir et ce matin, j'ai fait deux poussées à plus de 39° de fièvre. En soi, ce n'est pas grave. Mais avant que je sache pourquoi j'étais si malade, surtout ce matin... J'ai vraiment eu peur.
Je me voyais déjà partir à Marseille pour être intubé et avoir une voie centrale... Heureusement, j'ai cessé ce mauvais délire après midi. Mais la matinée n'a vraiment pas été rose... J'ai également appris que Fabrice était réellement mort. Il a eu un arrêt cardiaque en se reposant dans une chambre d'hôtel aux Baléares, où il était parti avec Joseph. Le voyage avait été offert par M. Granet, directeur des "Leclerc" en Provence et qui, après avoir eu un enfant muco qui est décédé, continue à nous aider. Il était encore là, ce soir, quand Joseph est parti avec le SAMU.

mardi 22 juillet 2008

Agitation et gaudrioles. J. Heuchel

Le 22.07.90

Je suis à Giens depuis le 10 au soir. J'ai voyagé avec Juliette. Elle déménage à Avignon et je ne la reverrai sans doute plus à la maison. Dommage, mais qu'y puis-je ?
Ici, depuis douze jours, j'ai fait à la fois plein de choses et rien du tout. C'est l'été. Le service est comble. Il y a du monde partout, de l'animation, de l'agitation. Mais tout cela, c'est du bruit et du mouvement pour "Rien". Car il ne se dégage rien de ces relations stupidement superficielles. Le temps n'est pas à la réflexion, mais aux gaudrioles stériles. Seuls, quelques-uns font exception. J'ai, par exemple, rencontré Nathalie Genza, une fille de Béziers, qui a frôlé la mort en réa, et qui est vraiment intelligente et sympathique. J'ai aussi retrouvé Anne Heimerman, qui était là en février, et qui partage ma vision des choses. Il y a aussi d'autres personnes intéressantes, mais qui sont influencées par l'ambiance estivale, ce qui empêche de parler sérieusement, alors que cela est possible en hiver. Curieusement, ce sont les filles qui semblent les plus sensées dans cette escalade aux ragots, aux saouleries et aux conquêtes éphémères... Enfin, l'ambiance est bonne dans l'ensemble. Je déplore simplement le manque de profondeur dans les rapports que j'ai avec les autres. Lorsque j'en ai vraiment marre, je vais voir mes parents qui ont pris une location à Giens. Mais ce climat simplet m'exaspère et je suis très irritable. Trop irritable. Ou alors, lorsque la coupe est pleine (comme ce soir), je m'isole et passe ma rage sur la musique et le papier.
Mais à part ça, Jean-Jacques se remet. Très doucement; beaucoup trop à mon goût. Egoïstement, je songe au temps qu'il me faudra passer, moi aussi, à Marseille, et chaque journée supplémentaire assombrit mon horizon.
Pourtant, il paraît qu'un long rétablissement est préférable, dans la plus part des cas, à un retour spectaculaire au top niveau. L'avenir jugera. Guy, lui, est encore retourné à Marseille. D'après ce que je sais, il y serait retourné quatre jours après notre voyage ensemble et y serait encore aujourd'hui. il aurait même refait de la réa...
Bref, ces jours ensoleillés ont un "je-ne-sais-quoi" de déprimant. Et cela sans parler de Joseph - un vieil ami de Giens, qui m'a permis, avec Jean-Jacques, de m'intégrer ici - qui fait hémoptysie sur hémoptysie. Ni de Fabrice, que j'ai connu en mars, et qui serait (mais je n'en suis pas sûr à 100%) décédé d'un arrêt cardiaque, en vacances aux Baléares. Vive les vacances !

lundi 14 juillet 2008

Rien. J. Heuchel

Le 14.07.90

Rien.
(Depuis le temps que je voulais la faire, celle-ci !)

jeudi 10 juillet 2008

Lettre à Lisa



Surprise, surprise; Surprenante surprise.
Nous avons été surpris d'un envoi de mail adressé à Lisa.
Depuis trois ans maintenant, nous souhaitons à la famille royal du Cambodge, les évènements les concernant.

oh! quelques messages bien simples qui n'attendent rien au retour, d'autant que les messages sont reçus via le secrétariat ministériel qui tri sûrement des milliers d'autres messages journaliers.

Mais là, souhaitant un bon et heureux anniversaire à sa Majesté la Reine Mère Norodom Monineath Sihanouk, le 18 juin, nous avons eu retour d'un petit mail à l'attention de Lisa.

Nous en sommes resté sans voix; Et comme on dit "No comment !".

Petit rappel : ne soyez pas surpris du parfait Français de sa Majesté, Monique Reine du Cambodge est Française ! Elle a 70 ans d'écart avec Lisa.

mercredi 9 juillet 2008

Un vrai ami J. Heuchel

Le 09.07.90

Il y a deux jours - avant-hier soir, quoi - alors que je soufflais tranquillement pour faire ma kiné, le téléphone a sonné. Je décroche. Une voix curieuse, faible et éraillée, me parvient du fond de l'écouteur, une voix familière mais que je n'arrive pas à identifier.
"Qui est-ce ? ai-je demandé.
- Devine."
Et là, j'ai réalisé ! C'était Jean-Jacques ! Jean-Jacques qui me téléphonait depuis Salvator, où il va rester jusqu'au début Août. L'entendre m'a fait vraiment plaisir. Mais, en même temps, je me suis senti coupable de ne pas l'avoir soutenu plus, durant la réa. En fait, je crois qu'inconsciemment j'ai rejeté Jean-Jacques à l'arrière plan depuis mon retour à la maison. sans doute parce que la greffe est une épreuve si forte qu'elle me fait peur et que, finalement, je préfère ne pas trop saisir à l'avance où je vais, ni si je resterai vraiment longtemps à Marseille.
Jean-Jacques avait l'air très fatigué, extrêmement las, comme si rien ne l'intéressait, comme s'il était usé et flétri, sans envie ni désir. Il subit simplement les conséquences de la greffe. Ils l'ont réopéré pour enlever des hématomes sous les épaules. Il a de l'eau entre les plèvres et a fait un (ou plusieurs) pneumothorax. Lui qui en avait si peur, il sait ce que c'est maintenant. Il est drainé depuis samedi pour ça. Mais, il y a quelques jours, il marchait, m'a-t-il dit. Trente-neuf jours après l'opération, il recommence seulement à réécouter son Walkman. Lui qui, comme moi, l'avait acheté pour passer le temps en réa, n'a même pas eu envie de l'écouter. Sa mère m'a dit qu'il n'avait écouté en entier la cassette que nous avions enregistrée à Giens qu'il y a quelques jours. Avant, il était trop faible.
Si je ne l'ai pas réellement soutenu en réa, je vais le faire maintenant qu'il est pleinement conscient et qu'il peut recevoir des visites. Demain, je repars à Giens. Mes parents me suivent le 12. Ils arriveront le 14 au soir et resteront jusqu'en août. Ensemble, nous irons le voir à Salvator. C'est en fait là-bas, lorsqu'il aura repris des forces, que l'impatience de rentrer chez lui va le prendre et qu'il va commencer à vraiment en avoir marre. Avant de partir, je lui téléphonerai sans doute. Et je lui enverrai une lettre de là-bas en attendant d'aller le voir.
Je ne sais pas comment va évoluer notre amitié, mais je pense que, finalement, comme pour Guy, la greffe ne va pas présenter un obstacle insurmontable. En attendant de le rejoindre de l'autre côté de la barrière, nous nous écrirons. Il ne faut pas que l'on perde contact. ce serait trop bête. Bien que nous n'ayons que peu de goûts en commun, nous sommes de vrais amis et le coup de téléphone de Jean-Jacques a renforcé cette amitié. "Parce que c'était moi, parce que c'était lui", disait Montaigne.
Dans un tout autre registre, hier je suis allé déjeuner à Dieppe, dans un grand restaurant avec vue sur la mer. Le repas, bien qu'agréable, fut banal. Mais, après nous être empiffrés, nous sommes allés sur la plage de galets pour voir de plus près la mer et digérer un peu. Il y avait sur l'avenue de la plage une curieuse caravane d'Art Modeste. C'est-à-dire que des artistes itinérants, ayant fait de leur caravane le temple du pop-art de mauvais goût, ont fait escale là-bas. certaines réalisations étaient d'une laideur extrême; d'autres, volontairement provocantes, étaient plus intéressantes. Bien que je soupçonne ces artistes du Trash-art d'être encore plus imbus de leur ego que les "artistes officiels", leur exposition n'en était pas moins intéressante. Eux, au moins, ont essayé de faire quelque chose. C'est facile de critiquer lorsque l'on est spectateur, mais encore faut-il savoir et oser un minimum. Finalement, les délires caravanesques de ces types étaient assez proches de ce que je voudrais faire du "Cotyledon" : un journal instinctif où chacun pourrait faire partager aux autres ses désirs, ses passions, ses émotions ou ses fantasmes. Sans censure ni fausse pudeur, arriver à s'exprimer, pour qu'au travers du journal il se dégage un "esprit muco" qui ait valeur de témoignage.

samedi 5 juillet 2008

Voyage au "Cotylédon" J. Heuchel

Le 05.07.90

La vie est un éternel recommencement. Je repars à Giens mardi prochain, le 10 Juillet. Mais, cette fois, mon optique est différente. J'y vais pour me soigner (perfusions nous voilà !) mais aussi pour passer quelques semaines sur la côte en été. Et puis ce sera l'occasion de revoir les autres. L'été, le Coty est plein; ils installent même des lits supplémentaires dans les chambres. Je descend par avion avec Juliette. Nous irons la chercher à la gare de Rouen, puis nous l'emmènerons à Orly où elle et moi prendrons l'avion pour Hyères. C'est plus sympa de partir à deux, et partir avec Juliette ça ne gâche rien ! Elle esttrès sympathique, ouverte et intelligente. Et puis elle a longtemps habité en Seine-Maririme, c'est une compatriote. Pourtant, elle déménage à Avignon pour rejoindre son père qui y travaille. C'est vraiment dommage. Pour une fois que quelqu'un de Giens habitait près (à une heure de route tout de même) de chez moi.
Il y a bien Vincent, le muco du pays de Bray qui est juriste, mais j'ai moins d'atomes crochus avec lui qu'avec ceux de Giens.
J'espère aussi voir Jean-Jacques à Giens. Logiquement, et d'après les dernières nouvelles que j'ai eues de lui par téléphone, il est sorti de la réa de la Timone lundi, pour l'unité post-greffe de Salvator où il devrait rester dix à quinze jours. Je pense être à Giens pour son retour. J'ai hâte de le revoir. Et un peu peur aussi.
Peur, comme je l'ai déjà dit, que la greffe forme entre nous une barrière. Mais, peur aussi, soyons honnête, de le voir affaibli, fatigué ou plus mal qu'il n'était le jour de son départ.
Stéphane m'avait dit que je m'étais projeté à la place de Jean-Jacques au moment de son départ. Qu'à travers lui, c'est moi que je voyais partir. C'est sans doute vrai. Jean-Jacques a tracé la route pour moi. Et si la greffe ne l'a pas amélioré de façon significative, j'aurai, certainement, une réticence à me faire opérer. Comme, lorsque Guy était mal, j'avais peur pour moi et mon avenir. D'ailleurs, Jean-Jacques aussi avait été "refroidi" par l'exemple de Guy.
Une fois encore l'oscillation risque de changer de sens. Quoique, bien que je désir toujours la greffe, je ne fonce plus tête baissée vers elle. J'aimerai pouvoir encore attendre. En tout cas, ce désir obsessionnel de la greffe a disparu, laissant place à une volonté ferme mais plus réfléchie.
La thérapie des jeux de rôles a été efficace. Toute cette semaine j'ai fait jouer Law et Aude à nouveaux héros, le jeu de rôles d'une nouvelle race de héros, que j'ai écrit moi-même. Je me suis beaucoup investi dans deux scenarii qui m'ont pris 90 % de mon temps libre, et j'en ai oublié la mucoviscidose durant de longues heures.
En fait, mon attirance pour les jeux de rôles suit le cycle de mes voyages : à Giens, je m'en désintéresse presque totalement. Une fois de retour ici, ces jeux m'ennuient, et je ne pense qu'aux copains mucos. Puis, peu à peu, l'atmosphère de la maison (où se trouve toutes mes affaires de jeu et où j'ai joué mes meilleures parties) m'envahit et je reprends goût à ce loisir. Mais à peine ai-je le temps de rentrer et de recommencer à m'amuser vraiment que je repars...
Enfin, à Giens, j'ai d'autres centres d'intérêt, sans doute plus adultes. Je vais aussi me préoccuper de savoir ce que devient le numéro quatre du "Cotylédon" qui doit bientôt sortir.
Finalement, je vis une double vie. Chez moi, je suis Johann, l'enfant surprotégé qui joue encore à 19 ans et, là-bas, je suis Johann, le muco-futur-greffé, un certain "docteur vieux rat", mucoviscidosique d'une vingtaine d'années, amateur de BD, de SF, de musique, journaliste, philosophe, photographe, génie à ses heures perdues, mais aussi et surtout, l'ami et ennemi intime, selon le scénario d'un certain Estevan Nadamas, comme me l'a écrit Stéphane.