dimanche 29 juin 2008

Désir J. Heuchel

29.06.90

La télé est un des objets qui me sont indispensables. Aujourd'hui, c'est la fin de l'année scolaire. la fin de la saison 89-90 à la télé. Si je me retrouve dans une chambre d'hôpital sans canal + et sans les nuls, ça va être dur. Déjà que ce n'est pas folichon l'hiver... Alors l'été. Et si je parle de chambre d'hôpital, il ne s'agit pas de Giens, où je suis maintenant comme un poisson dans l'eau, mais de Marseille.
Marseille où Jean-Jacques est encore en réa, un mois après sa greffe § Marseille où l'on n'a que dix à soixante minutes de visite par jour. Marseille d'où tous reviennent transformés, ahuris, comme absent.
Allô, ici l'esprit : il n'y a plus d'abonné au numéro demandé. Bip. Bip. Bip.
En revenant de réa, tous sont incapables d'en parler. C'est sans doute trop dur, trop long, trop chiant, trop déprimant, trop sinistre. L'esprit déconnecte. Bip, bip, bip, bip, bip.
Plus rien. Plus personne. Ils ont tous oublié la réa, ou ne veulent pas en parler. Sauf Guy.
Guy qui raconte que, sous l'emprise de la morphine, il se prenait pour une araignée. Guy qui dit à qui veut l'entendre qu'il a failli devenir fou. Que les médecins sont des tarés, qu'ils font des prises de sang, en fémoral, sans anesthésie locale.
Au fait, quand j'y pense, j'ai peur. Si la seule chose qui pouvait me distraire s'arrête (à savoir les émissions de canal +), je me demande comment je vais sortir de la greffe.
J'en ai de moins en moins envie de cette greffe. J'ai trop d'amis mucos pour renoncer facilement à les laisser tomber une fois greffé. Je commence à en savoir aussi trop sur les complications postopératoires pour y aller l'esprit tranquille. Même si je sais depuis longtemps que c'est un gros risque, cela ne fait que un ou deux mois que je commence vraiment à prendre conscience de ce qui m'attend : problèmes de diaphragme, de la fibrose pulmonaire totale, des éventuelles réopérations si les bouts de fer (les agrafes, en jargon médical) s'infectent ou bougent, les problèmes d'hémorragie, les prothèses bronchiques... De plus, toute une surveillance postopératoire très sévère pendant un an; puis plus espacées dans le temps, mais à vie. Les surinfections dues à l'immunodépression, les rejets, les pneumothorax qui surviennent parfois lors des biopsies... Bref, c'est pas la joie... Et cette sensation d'être un rat de laboratoire.
A Giens, Stéphane m'appelle "vieux rat".
Ce n'est qu'un surnom, mais je le porte bien. Voûté, amaigri, le visage creusé et la peau pâle, j'ai vraiment l'air vieux. Et je suis un rat de laboratoire. Délicieux cocktail.
Mardi dernier, avec mes cousines, on a répondu au questionnaire de Proust, un peu transformé par Laurence. ça a été un moment formidable où l'on a retrouvé la franchise d'une vraie amitié. Cela m'a rapproché d'elle alors que, obnubilé par Giens, je m'éloignais d'elles.
ça confirme ce que je pensais un peu : elles sont plus enfantines que moi. Le rêve de bonheur d'Aude est d'apprendre en dormant pour ne plus aller à l'école et le seul défaut que se voit Laurence est un manque de mémoire.
Bref, Aude n'a pas compris qu'apprendre n'est pas une obligation, mais un désir, et Laurence ne voit toujours pas ses vrais défauts, ou plutôt elle s'entête à ne voir que ceux qui ne lui plaisent pas, occultant son égoïsme et quelques autres.
Mais toutes les deux n'envisagent pas l'avenir après la mort. Elles ont, à un moment ou un autre, souhaité ma survie dans leur souhait. ça m'a fait plaisir. C'est tout de même agréable de se sentir "aimé". Il faut dire qu'on se connaît quasiment depuis notre naissance. Mais, moi aussi, leur disparition me peinerait terriblement et plus encore. Après tout, ce sont quand même les personnes avec qui je partage ma vie depuis des années, à part mes parents. Mais "parents" et "ami" c'est différent. Et si parfois elles me semblent puériles, c'est aussi que je suis un étranger par rapport à celui que j'étais il y a deux ans.
Aujourd'hui, j'ai rouvert mes affaires de classe. J'ai jeté tout un tas de photocopies des cours que j'avais manqués en 88. Ces photocopies dataient d'octobre, novembre et décembre 88, date à laquelle j'espérais encore continuer ma scolarité et passer mon bac en juin 89.
J'y ai retrouvé des cours de philosophie (les seuls que je n'ai pas bazardés) sur l'inconscient : le Moi (moi,quoi), le ça (l'instinct primaire de la bête qui sommeille en nous) et le surmoi (l'autorité morale et les tabous de la société et de l'éducation). Comme ça rejoint le questionnaire de Proust et que, finalement, la seule chose qui nous intéresse c'est "qui suis-je, où vais-je, dans quel but j'erre ?".
Questionnaire de ¨Proust (version J.J.A.H.*)

Qualité d'un homme : l'humour.
Qualité d'une femme : la compréhension.
Qualité d'un ami : la franchise.
Mes défauts : naïf, parfois même obtus, tendance à écraser les autres quand je suis épaulé, acide, égoïste, hypocrite, menteur.
Rêve de bonheur : une greffe réussie en conservant des liens avec les mucos. Vivre intensément et bien. Avoir le temps de faire aboutir quelques projets.
Le plus grand malheur : mort de mes vrais amis et parents. Devenir aveugle et paralysé (surtout les bras). Et, le pire de tous, si après la mort c'était pire qu'ici, si mes angoisses les plus profondes étaient vraies... Une vision d'horreur totale : être prisonnier dans la toile d'une immonde araignée géante (et velue !).
Pays où je voudrais habiter : je suis bien en France. Ou alors l'Angleterre.
Ce que je voudrais être : non muco (quoique, parfois, je me demande !). Être beau, grand, riche et intelligent (quoique, là aussi, je me demande si je ne serais pas un connard de branleur si j'étais si parfait).
En tout cas, j'aimerais être plus lucide, plus objectif, plus cultivé et surtout plus sûr de moi. J'aimerai croire en quelque chose de solide. Mais la certitude conduit à la stagnation. En réalité, j'aimerais guérie (déjà si la greffe réussit il y aura un progrès) mais garder ma conscience et mes souvenirs. Parce que cette vie n'est peut-être pas toujours facile, mais c'est la mienne.
Mes préférences :
Couleur : le bleu.
Fleurs : les chrysanthèmes.
Animal : le tigre.
Ecrivains : Stephen King, Lovecraft, Tolkien, Herbert, Moorcock, Lautréamont, Alan Moore.
Livres : ça, puis, un cran derrière, les écrits des auteurs cités plus haut.
BD : les gardiens.
Films : Alien, Star Wars I, II et III, Indiana Jones I, II et III, Robocop, Brazil, Highlander, Conan I.
Metteurs en scène : Steven Spielbergt, Peter Weir, Jonh Boorman, Alan Parker, Clint Eastwood, Ridley Scott, James Cameroon, David Lynch...
Héroïne réelle : Mère Teresa.
Héros réel : John F. Kennedy.
Héroïne fictive : Jean Grey, en tant que phoenix.
Héros fictifs : Indy, Serval, Paul Atreïde, dit Muad Dila.
Héroïne de jeu de rôle : Althéa l'Amazone.
Héros de jeu de rôle : Allan Burnt.
Actrice : Sigourney Weaver.
Acteur : Harrisson Ford.
Véritables amis : Law et Aude, Stéphane, Thierry, Jean-Jacques.
Le trait de caractère que je déteste le plus : l'hypocrisie.
Ceux que je hais : les grands cons trop sûrs d'eux.
Meilleure manière de mourir : à Mach 1, à quinze mille mètres de haut, dans un accident d'avion.
Don de la nature que j'aurais aimé : voler, faire bouger les objets par la pensée (la télékinésie quoi !).
Devise favorite : "Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts", Nietzsche.

Ce soir, Yannick est rentré de Grèce. Il m'a offert un superbe poignard et une dent de sanglier montée en pendentif. Il paraît que c'est un porte-bonheur local.
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* Johann, Jacques, Adrien Heuchel

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