lundi 9 juin 2008

Rat de laboratoire J. Heuchel

09.06.90

Guy est revenu au Coty. Il nous a raconté qu'il n'a pas quitté l'hôpital marseillais depuis ma dernière rencontre avec lui, mis à part 15 jours passés à Paris où il avait été fatigué et essoufflé. Il a été traité pour un rejet et va mieux depuis, mais reste très fatigué et essoufflé (surtout pour un greffé). Il a fait un tas d'examens à Marseille et est revenu ici pour décompresser un peu en attendant les résultats. Il faut dire que les hôpitaux de Marseille sont loin du paradis médical qu'est Giens.
Guy est vraiment déprimé. Il parle moins, se perd dans ses pensées et recherche moins le contact. Il part lentement à la dérive, n'a rien à voir avec le type exubérant et hyperpressé qu'il était avant. Il me fait penser à Christophe. Il est inexplicablement malade et les médecins ne comprennent pas ce qu'il a.
Aujourd'hui, France-Culture a diffusé l'émission de radio que j'avais enregistré en mars avec Stéphane et quelques autres.
C'était une émission intéressante, très intelligemment construite et pas misérabilisante. Il faut dire d'Antoine Spire, le journaliste qui nous a interviewés, qu'il s'était vraiment intéressé à la mucoviscidose et avait pris la peine de rester suffisamment longtemps pour nous comprendre. J'ai enregistré l'émission qui a été diffusé ce matin. A un moment, le Docteur Chazalette y évoque la greffe et cite le chiffre de 40% d'échecs. dans ce chiffre il inclut certainement Christophe. Christophe qui, d'après la psychologue, aurait une crise d'angoisse engendrant un arrêt cardiaque.
Mais peut-être est-ce une façon de nous masquer un échec médical ? c'est ce que croit Stéphane et je fini par penser comme lui. Ainsi en est-il de Guy, dont ils n'arrivent pas à savoir ce qu'il a. C'est que la greffe est récente (été 88 pour la première effectuée en France) et qu'ils sont encore en terrain inconnu, incapables de soigner et de comprendre certaines complications.
Guy a tiré un mauvais numéro.
Il s'en sortira peut-être, mais il va servir de cobaye pour les autres. ça c'est révoltant. A la fois ignoble et indispensable. il faut bien qu'il y ait un premier pour tout, mais en être réduit à l'état de rat de laboratoire, c'est atroce. Quand je le regarde et que je pense : "Peut-être qu'ils vont trouver, peut-être pas, ou peut-être trop tard", je n'ai plus très envie de cette greffe.
Mais il faut jouer le jeu. de toute façon, sans greffe je ne verrai peut-être pas Noël. Ce n'est pas parce que je respire très mal, mais c'est qu'un pneumothorax ou une hémoptysie fatals peuvent toujours se déclarer. pour l'instant, j'essaie de me maintenir pour être opéré dans les meilleures conditions. Comme Jean-Jacques. Qui était, toutes proportions gardées, en forme le jour de sa greffe.
J'ai beaucoup discuté avec Stéphane aujourd'hui. On a reparlé des photos que j'avais prises lors du départ de Jean-Jacques. je voulais essayer de fixer cet instant ahurissant, de capturer mon émotion pour l'éternité. mais Stéphane m'a fait ouvrir les yeux sur ma conduite. c'était du voyeurisme. Essayer de capter le regard d'un ami en cet instant, c'est pas terrible comme comportement. C'est digne du petit journaliste merdeux en quête de scoop. ça ressemble trop à ce que l'on voit dans Paris-Match et à l'exploitation des problèmes des autres. Même si c'est Jean-Jacques qui avait lancé l'idée de la photo, une ou deux auraient suffi. j'aurai plutôt dû essayer de le soutenir moralement. J'espère que Jean-Jacques n'aura pas cette vision des choses. J'ai déjà déçu Stéphane, ça m'a suffi. Enfin, ce soir nous sommes allés tous deux au resto chinois et on a réussi à oublier la greffe et la mucoviscidose pendant quelques heures.
Si je croyais Stéphane fini, il n'en est rien. Il est plus fort que jamais. Conscient de tout, l'acceptant et vivant avec. C'est un type bien, vraiment bien; et j'espère qu'on ressortira encore souvent au resto chinois, comme ce soir.

Aucun commentaire: