samedi 31 mai 2008

Un greffon J. Heuchel

le 31.05.90

Jean-Jacques est en train de se faire greffer !!! ça y est !!! Ils l'ont emmené au bloc vers 10 heures. A l'heure qu'il est, il a les poumons qui prennent l'air.
Je suis encore sous le choc plus de quatre heures après son départ de Giens. Depuis dix-neuf mois qu'il attendait, voir enfin la greffe est comme irréel, trop extraordinaire pour être vrai. Et pourtant...
Lorsqu'il a su qu'il avait un greffon, Jean-Jacques a explosé de joie, il est parti comme un fou, courant avec sa perfusion chercher une carte téléphonique pour prévenir sa famille et m'a crié en passant :"Johann, ça y est, c'est bon !" Le temps que je réalise, il était déjà passé.
Il s'est écoulé une heure entre cet instant et celui où il est monté dans l'ambulance, escorté par les motards de la gendarmerie nationale, pour rejoindre l'hélicoptère qui devait l'emmener à la Timone. ça a été une heure folle. On courait dans tous les sens, à la fois surexcités et inutiles. car que pouvions-nous faire ? Jean-Jacques a rassemblé ses affaires, pris ses cassettes de U2, s'est isolé cinq minutes avec sa copine, puis les internes sont venus le chercher. Il est monté au troisième étage où on lui a injecté le premier "tranquilisant-euphorisant". puis, les motards et le SAMU sont arrivés J'ai eu juste le temps de prendre quelques photos.
C'était un moment magique, inoubliable.
Les infirmières et les malades étaient tous au balcon pour le voir partir. Les copains qui habitent à Hyères sont venus aussi. Tout le monde était là ! Il est monté dans l'ambulance, a râlé parce qu'il était déjà allongé, a embrassé Laetitia. la porte de l'ambulance s'est refermée et il est parti...
Il est parti souriant, rigolant même et confiant. Il avait depuis trop longtemps pesé le pour et le contre pour hésiter ou prendre peur. Il a foncé tête baissée. Avant de partir il nous a même demandé si on avait un message pour les "potes d'en haut" comme il dit, au cas où il les rejoindrait.
Il a aussi dit, quelques instants après, un truc du style : "Même si je claque, j'men fou." Il m'a scié. Il ne s'est pas démonté. ce type est un tank. On aurait pu croire qu'il les aurait à zéro, mais non, il ne s'est pas démonté ! Il a fait de l'humour noir jusqu'au bout. Sacré Jean-Jacques !
D'autres, Christophe, François et Laetitia l'ont ensuite rejoint à la Timone. Laetitia m'a téléphoné de l'hôpital à 10 heures. Elle m'a dit qu'il avait toujours le moral. lorsqu'elle m'a appelé, Jean-Jacques était descendu au bloc depuis moins de dix minutes.
Moi, je ne suis pas allé avec eux là-bas.
On avait pas de permission après 21 h 30... Et l'opération va durer jusqu'à demain matin 7 heures...
Laetitia, elle, est partie quand même. Elle est y allée avec François (hospitalisé de jour) et Christophe (qui n'est pas à l'hosto). Le temps que je me décide entre mon respect des lois et de mon désir de rester avec Jean-Jacques, ils étaient partis.
Du coup, je suis là ce soir, devant une feuille, à coucher mes pensées par écrit.
Il est 11 h 37. j'écris à la lumière de ma lampe individuelle. Le walkman sur les oreilles me débite du Eurythmics et mon ventre est noué comme un vieux tronc d'arbre. maintenant je ne dors plus seul. Stéphene Adam et Frédéric Janots sont arrivés et dorment dans ma chambre. Malgré ma répugnance à avouer aux gens que je tiens un journal, j'ai écrit devant eux. Maintenant ils essaient de dormir. Je ne peux pas. Pas déjà. J'ai bu trop de café. J'attend demain.
Ce soir, l'oscillation s'est arrêtée. demain, elle sera plus forte que jamais. Dans un sens ou dans l'autre, elle sera titanesque.
Pour moi, Jean-Jacques, outre un ami, est un symbole. Il était là en mars 89 quand j'ai débarqué au Coty, dans cet ambiance si particulière que j'essaie péniblement de retranscrire. Il attendait déjà depuis longtemps. C'est lui qui m'a permis de m'intégrer au groupe muco. C'est lui qui m'a fait découvrir les coins sympa et les restos valables.
Jean-Jacques est un peu comme un grand frère pour moi. D'ailleurs, sa petite amie Laetitia me l'a dit ce matin encore. Que Jean-Jacques soit greffé, c'est comme si j'entrais dans le troisième millénaire. Il attendait depuis si longtemps avec moi. Il a été tant de fois déçu. ce soir, je suis dans un état indescriptible : bouffé par la joie et l'angoisse comme jamais. j'ai déjà connu plusieurs fois cette sensation, ce suspense qui ne prend fin que lorsque le malade sort de la salle d'opération, mais jamais le malade ne m'a été aussi proche. Bien sûr, la mort d'Eric Chabaud m'a peiné (et plus que je ne l'ai tout d'abord cru), mais si Jean-Jacques y restait je ne sais pas si je pourrais trouver la force de continuer.
Putain de Dieu, Jean-Jacques, accroche-toi !
T'as pas attendu deux ans pour crever comme un con !
J'ai confiance en toi. Tu es un vrai tank. Et un tank ça traverse tout !
11 h 54 : Noirclerc doit tailler dans le bifteck. Ah ! Si on s'en sort tous les deux, on fera la plus grande des mega fiestas de la décennie. A côté, le 14 juillet de Jean-Paul Goude aura l'air d'un défilé de majorettes à Pétaouchnock !
Mais, pour l'instant, c'est l'attente. l'attente qui ne prendra fin qu'à mon réveil (si je dors !).
L'oscillation est suspendue.
En tout cas une chose est sûre : ce soir, j'emmerde la mucoviscidose !!!

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