lundi 26 mai 2008

Maldoror J. Heuchel

le 26.05.90

10 h 49. Cela fait cinq jours que je suis ici. J'ai commencé mes perfusions ce matin car les résultats des examens sont arrivés hier. Je ne suis sensible qu'à un seul antibiotique : le Tienam. Saloperie que ce truc-là !
La perfusion dure au minimum trois heures matin et soir. Et il faut monter à l'étage supérieur (là où se trouve la salle des soins) quatre fois. Bien sûr, ce n'est pas la fin du monde. Mais c'est la fin de la tranquillité.
En outre, avec mes veines pourries, les infirmières ont du mal à me piquer. pour éviter cela, on a coutume de poser des cathlons, des aiguilles en plastique anti-infection, qui restent en place une vingtaine de jours environ. Mais, ce matin, l'infirmière n'y est pas arrivée : du coup, là où elle a piquée, j'ai un superbe bleu. D'ailleurs, si je vous raconte tout ça, c'est parce qu'il me gêne précisément pour écrire. C'est la galère.
En dehors de ses ennuis techniques, qui toutefois une grande importance quand on a des perfusions un jour sur deux dans l'année, l'ambiance est sympa.
Repartir chez moi m'a fait du bien. Je me suis calmé. Je ne m'énerve plus pour un oui ou pour un non. Par contre, ça ma filé le cafard de revenir ici. Je pense souvent à ma chambre ensoleillée par un rayon printanier. Le vasistas laisse une emprunte lumineuse sur le parquet ou le chat, allongé de tout son long, rêvasse paisiblement.
Je m'imagine sur ma bonne vieille table, lisant une bonne BD tout en écoutant RVS, la radio locale, débiter des disques à la mode.
Rêveries. Rêveries que tout cela.
On dirait un journal pour midinette amoureuse !
Vite, pallions ce problème qui risquerait de nuire à la sombre atmosphère de ce récit.
Et voilà que maintenant je plagie "les chants de Maldoror". Je ne sais vraiment que "pomper" sur ce qui existe déjà.
Je me console en me disant qu'il faut mieux pomper Lautréamont qu'Hellen Mac Culloch. Lautréamont dont j'ai fini la lecture lundi dernier. Il faut que je parle de ce bouquin. C'est vital.
D'ailleurs, ce qui va suivre je l'ai déjà écrit à Stéphane Adam qui m'a offert le livre suscité.
Les chants, donc, lui ai-je écrit, sont une succession de poèmes en prose narrant les épisodes de l'errance de Maldoror, personnage énigmatique et charismatique. Maldoror, être cruel, vil, pervers, impitoyable, et j'en passe (et des meilleures !), voue une haine implacable à l'humanité et au créateur. Mais, en même temps, il prône des vertues respectables (enfin rarement !) et,loin de se complaire dans le mal pur, il condamne et critique les bourreaux de l'humanité. Il est un ange machiavélique venu se venger de la création de Dieu par excellence : l'homme; mais aussi du créateur lui-même. A l'humanité, il préfère les animaux (surtout les animaux aquatiques), admirant leur force, leur courage, leur bestialité. Une interprétation freudienne que j'avais envisagée était d'associer l'animal marin (l'eau) au foetus et au placenta. L'animal, comme le foetus, étant un être primaire, obéissant à son instinct. Maldoror, un nostalgique de sa période prénatale ! ça m'a fait marrer. Et pourtant, en poussant la chose à l'extrême, on se rappelle que nos lointains ancêtres pataugeaient dans l'eau. L'homme n'était qu'un poisson stupide, ignorant et inconscient de sa propre réalité.
Or, c'est cette conscience de soi, cette connaissance de son futur, à savoir la mort, cette intelligence, pourrait-on dire, qu'il hait. En effet, l'homme conscient de sa fin cherche à vivre le mieux possible le présent, puisque l'avenir après la mort est incertain. Ainsi, appliquant le "carpe diem" cher au professeur Keating, il tente d'amasser biens matériels, confort, richesse, plaisirs et jouissance. Ce faisant, il devient jaloux, cupide et égoïste. En un mot HUMAIN.
Ainsi, convaincu de sa fin, il crée un enfer sur terre par le biais du désir.
Il est là, donc, le reproche de Maldoror. Pourquoi l'homme est-il intelligent ? Il en veut à Dieu d'avoir créé (ou contribué à créer) un monde imparfait où l'intelligence souille la naïveté primitive de l'animal.
Mais Maldoror est un être complexe et il ne peut s'empêcher d'admirer cette humanité se débattant dans les tourments qui sont siens. Il admire sa résistance, son potentiel de peine, ses arts qui naissent de la torture qu'elle subit. Maldoror est donc suprêmement malheureux. Écartelé par cette dualité, il va à la dérive, cherchant compagnie auprès des requins sanguinaires et nobles.
Un détail, cependant, me chiffonne dans ce beau système de pensée que j'adopte pour mien (tout en évitant d'y penser à chaque instant pour ne pas finir en copulant avec un requin !) : la notion de désir rejoint celle de propriété, fruit de la société, corrompt donc l'homme, comme l'a écrit ce cher ange. De là provient sans doute sa célèbre phrase (contre laquelle j'ai déjà protesté) : "l'homme naît bon, c'est la société qui le corrompt."
Or, si l'on suit le raisonnement que je suppose être celui de Lautréamont, on serait tenté d'acquiescer en disant : "Oui, de l'intelligence naît le désir et la propriété qui caractérisent indéniablement notre civilisation".
Mais c'est oublier un peu vite l'origine de l'intelligence. Une origine divine pour autant que la science puisse actuellement en juger. En effet, même si les mécanismes du cerveau sont de mieux en mieux connus, qui peux dire : c'est là que la cellule devient consciente ?
Bien obligé de parler de Dieu.
De toute façon, Dieu ou pas, l'intelligence est innée et ce n'est pas la société qui la génère mais le contraire. Certes, la société, née de l'intelligence, copie ses travers mais elle n'est pas une cause. C'est un effet.
Décidément, je ne suis pas d'accord avec Rousseau ! Mais bon, toute cette théorie est bien belle, mais que va en penser Stéphane ? Lui est de formation littéraire et connaît sans doute mieux que moi Lautréamont. Sa lecture doit être meilleure. J'ai hâte d'avoir sa réponse.

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