lundi 7 avril 2008

Pas fini de me marrer ! J. Heuchel

le 07.04.90

Je n'ai pas été appelé cette fois-ci. Pour le week-end je ne suis pas en extrême urgence. D'ailleurs personne n'y est car le professeur Noirclerc est en Belgique. Mais Lundi (et jusqu'au mercredi 11 avril si j'ai bien compris) je suis à nouveau prioritaire. Passé ce délai, en accord avec le docteur Chazalette, je rentrerai chez moi pour la "mi-temps", comme il dit avec son humour si spécial.
Je ne sais que désirer. L'envie d'être greffé et d'être débarrassé du traitement habituel est formidable. Je pourrai à nouveau courir, gambader, faire le fou, rire, m'éclater sans être essoufflé après trois secondes. La toux et l'essoufflement me fatiguent à tel point que je me retiens de rire parfois. Mais d'autres part, l'envie de rentrer est énorme aussi. Revoir mes amis, ma maison, mes animaux... tout un programme ! En tout cas, hier après-midi Colette (ma mère), Yannick (mon père), Laurence (ma cousine) et Aude (la soeur de la précédente) sont arrivés à Giens pour une semaine. Cela m'a fait plaisir de les revoir tous. J'étais tellement heureux et excité que j'ai senti ma tension monter et ai craint un moment de refaire une hémoptysie (paranoïa quand tu nous tiens !). Hier soir nous avons fait une parte de "détective conseil". ça m'a fait du bien. Pendant une heure j'ai oublié les mots mucoviscidose et greffe. Je suis ressorti retapé de la partie. Aujourd'hui nous sommes allés en bus à Hyères. J'ai montré à mes cousines le temples du jeu de rôles et du fantastique, c'est-à-dire la librairie Atlantis. J'ai fait du lèche-vitrines, acheté des trucs, je me suis fait plaisir. Ce soir j'ai dîné dans l'appartement qu'ont loué mes parents. J'ai vu autre chose que des femmes en blouse blanche et des malades, crachant à chaque fou rire stupide. J'ai vu une maison simple, sans tuyaux d'oxygène qui courent le long des murs et sans "salle de soins", le chien des propriétaires, et j'ai un peu décompressé. Un peu, parce que l'on a beaucoup parlé des trois derniers mois passés ici. Mais ça m'a fait du bien.
Les autres sont sortis aussi.
Ce soir, c'est samedi. Permission de minuit. Ils sont allés au bowling. Ils ne vont pas tarder à rentrer. J'espère que Guy sera moins angoissé. En effet, depuis le jour où il a été filmé avec les autres greffés il est resté ici pour des perfusions. Mais hier, il a appris que ce qu'il croyait être une petite surinfection attrapée à l'hôpital Salvator (à Marseille), pendant une fibroscopie, était en réalité un rejet.
Lundi, il rentre en urgence à Salvator pour un traitement massif d'immunodépresseur. Il ne peut rentrer avant car le docteur compétent est (lui aussi, sic!) absent pour le week-end. Vous pouvez être malade en France, mais le week-end c'est à vos risques et périls, car les médecins sont absents ! Guy, qui avait toujours un moral d'acier,a été ébranlé. Il se voit déjà finir comme le jeune Christophe, qui est décédé en février. Il faut dire qu'ils étaient très liés et que Christophe, comme Guy, a commencé à avoir des problèmes six mois environ après la greffe. Enfin, ce soir Guy a pensé au "strikes" et non aux copains morts. C'est déjà ça. Et lui a plus de force pour s'en sortir que n'en avait Christophe. Néanmoins, cela fait réfléchir. La greffe n'est quand même pas la solution miracle. Même après on peut continuer à fréquenter le Coty. Mais, comme dirait Jean-Jacques: "Si c'est pas la greffe, c'est la tombe. Alors autant essayer la greffe! "
Et, comme dirait le chroniqueur des aventures de Conan : Il est toujours bien assez tôt d'y retourner dans la tombe." Alors pour ce soir je vais oublier un peu de ces pensées sinistres (si je peux) et m'endormir au son des DOORS dont j'ai acheté cet après-midi le best of.
Il y a plein de choses dont je veux profiter avant de crever. Il est trop tôt pour mourir. Je n'ai pas encore vu ce que je voulais voir, ni même entendu ce que j'ai à entendre. Si la mort veut me rattraper, elle attendra que j'aie fini de me marrer.

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