mercredi 13 août 2008

Juliette J. Heuchel

le 13.08.90

Déjà une semaine que j'ai écrit. La vie va trop vite. "Le temps assassine", comme dit le poète. ça me rappelle une chanson de Sardou qui disait à peu près :
"Mais, cet enfant qui vient de naître, c'est déjà un vieillard..."
Et pourtant cette semaine n'a pas été si riche que ça en événements. deux jours passés à chercher des étagères pour ma chambre, deux à jouer aux jeux de rôles avec Law et Aude. Deux autres à discuter avec elles. Une journée pour faire ma correspondance, et ma vie s'est enrichie d'une nouvelle semaine. A moins qu'elle ne se soit appauvrie et que ce soit ma mort qui y ait gagné ?
Le poids des ans se fait sentir. Même avec Law et Aude nous ne jouons plus beaucoup. Nos parties sont de plus en plus entrecoupées par la conversation. Durant deux jours nous n'avons même pas lancé un dé ni ouvert un livre de règles ! Alors que nous avions deux scénarios à jouer. La chaleur soporifique y était sans doute pour quelque chose. Il fait trop chaud pour résoudre une enquête policière, fût-elle en jeu. Néanmoins, il y a un ou deux ans, nous aurions joué aux fléchettes, fait une balade en mobylette, fait du tir à l'arc, ou encore, serions allés nous promener à Rouen. Là, nous n'avons fait que converser. Ce qui n'est pas pour me déplaire. J'aime parler avec les gens (surtout avec mes deux plus anciennes amies), essayer de nouer contact, de les comprendre, de faire passer quelque chose entre nous. A ce jeu-là, c'est certainement Stéphane Adam qui est le meilleur. C'est en fait, l'essentiel de mon activité à Giens. C'est ce manque de rapports avec les autres qui m'a manqué en juillet.
Je repars là-bas le 20 août, pour me faire une santé avant la Corse. J'espère que les "aoûtistes" seront moins superficiels que les "juillettistes".
Mais il ne faut pas tous les mettre dans le même panier. Anne, Jeanine, Nathalie et Juliette, par exemple, étaient nettement au-dessus du lot. Juliette dont c'est justement le vingtième anniversaire (!). J'ai beaucoup parlé avec elle lorsqu'elle est venue à la maison, et durant le voyage là-bas. Peu à peu, je me suis senti proche d'elle. D'abord par des points communs dus au hasard. Elle est née en 1970 avec un iléus méconium à la naissance. Elle était, jusqu'à récemment, normande d'adoption. Elle connaissait certaines personnalités de la muco haute-normande que je connais aussi. Elle a passé le Bac de français en même temps que moi, dans la même académie.
Puis, le prénom de Juliette m'évoque irrésistiblement le livre un bon petiot diable qui est un des premiers que j'ai lus (en fait, c'est Colette qui m'en a fait la lecture, si j'ai bonne mémoire). Dans le livre, il y a une Juliette aveugle dont le héros est épris. Je sais que cela peut paraître curieux, mais ce livre m'a énormément marqué. Juliette, c'est aussi le prénom que je donnais à mes personnages Playmobil féminins, à l'âge de 6 ans. Le prénom de Juliette a, inexplicablement, baigné mon enfance. Et il évoque à mon esprit tout ce que l'enfance peut avoir d'agréable. Tous ces souvenirs me sont revenus peu à peu, lorsque je pensais à elle. Une chose m'a choqué : Juliette m'a dit qu'elle serait sans doute aveugle à 40 ans. Comme l'était celle de la comtesse de Ségur...
Puis, au cours de mes conversations avec elle, seule ou en groupe, j'ai toujours apprécié sa façon de voir les choses, sa philosophie (prise dans le sens large du terme), ses idées. elle est à la fois simple, sincère, intelligente, compréhensive, amusante et sympathique. d'une grande profondeur d'âme. "Elle est belle intérieurement", comme dirait Laetitia. Et, extérieurement, même si elle n'est pas un "canon de beauté", elle a un charme et une élégance certains.
Mais où tout cela peut-il mener ?
Elle est muco, je suis en attente de greffe. L'issue est incertaine. Pile, c'est la résurrection; face, c'est plus rien. Je ne peux rien faire. Et après, je ne la reverrai sans doute plus. Elle habite à Avignon. Elle ne pourra pas m'approcher, même si l'on se rencontre par hasard au Coty, pendant plus d'un an. Et après ? Je ne reviendrai sans doute plus à Giens. et on se perdra de vue.
Pour moi qui n'entrevois de relation que sur une longue période... Je vais la revoir en Corse. Elle sera du voyage. Il durera sept jours. Je ne lui ai rien dit de tout cela alors que je la voyais tous les jours en juillet. Trop de timidité peut-être ?
Après cette semaine Corse (et une semaine ce n'est rien), je ne la reverrai probablement jamais. Elle doit revenir au Coty en février 91. D'ici là, il peut se passer tant de choses...
Pourtant, je me sens vraiment bien avec elle, à tel point que je suis presque gêné quand je suis seul avec elle. A tel point que, depuis mon retour, j'y pense tous les jours. Même ma mère a deviné sans vraiment trop savoir.

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