mardi 11 novembre 2008

Si sot, Si sot J. Heuchel

le 11.11.90 - dimanche, 11 h 35 du soir

J'ai vu le dernier film de David Lynch au ciné cet après-midi. Un film atypique, très surprenant, très personnel. Du Lynch quoi. Parfois incompréhensible, parfois génial. C'était Sailor et Lula, Palme d'or à Cannes en 90. Ils ont drôlement changé, en quelques années, les jurés. Entre Thérèse et Lula quelle différence ! Mais si j'écris ce soir, ce n'est pas pour faire de la critique cinématographique, pour ça j'ai mes fiches. Si j'écris, c'est parce que Lula m'a fait penser à Juliette. Elles n'ont aucun point commun, vraiment aucun. Pourtant, j'ai très vite pensé à elle. Serait-ce que je m'identifiais à Sailor ? Je ne crois pas. Enfin pas plus que je me suis identifié à d'autres personnages. Plutôt moins, même. Qu'est-ce qui fait que ce film éveille en moi le souvenir de Juliette ?
Sans doute est-ce un des rares films où les personnages ont vraiment l'air de s'aimer. Sailor et Lula sont amoureux comme le sont rarement des héros de cinéma.
Je me demande comment jouer aussi bien sans être réellement amoureux. Sailor et Lula, inexplicablement, me semblent le couple idéal; vraiment fait l'un pour l'autre pourrait-on dire.
Mais c'est plus que ça. je ne peux pas arriver à expliquer ce qui me touche et m'émeut dans cet amour, mais ça n'est pas parce que je ne l'explique pas que ça n'existe pas. Et je pense à Juliette. J'ai presque l'impression qu'elle est tout près, qu'en tendant le bras je pourrais la toucher. Ça me réconforte, mais à chaque fois la rêverie se prolonge et je me retrouve seul, réellement seul. Juliette. Ça fait presque mal de l'écrire. Je lui ai envoyé une lettre l'autre jour, d'une banalité affligeante. Style : "Je ne fais rien de spécial. Et toi ? Bye-bye."
Je me demande si c'est vraiment ça l'amour ? C'est une sensation plus ou moins nouvelle pour moi.
Quand je pense sérieusement à tout ça, je me demande où cela pourrait m'emmener et je ne vois pas. Le Havre-Avignon. La différence entre une heure et une journée de route. Bah ! De toute façon je ne serais jamais allé la voir au Havre... Je n'aurais pas osé. Comme je n'ose jamais essayer, lorsqu'elle est avec moi, de lui parler.
Je me sens si sot. Que lui dire ? Comment le prendrait-elle ? Quand j'évoque nos anciennes rencontres, j'y vois souvent une amitié profonde, mais c'est tout. Peut-être à deux ou trois reprises est-ce allé plus loin. Je veux dire dans la conversation, dans certaines choses qu'elle m'a dites, qu'on ne confirait pas au premier venu. Mais c'est une preuve d'amitié. C'est tout. Ce soir, je me sens à la fois très bien et plutôt mal. "C'est une joie et une souffrance", comme il est dit dans un film, je ne sais plus lequel.
Je ne sais toujours pas si c'est cela l'amour, mais j'ai rarement éprouvé de tels sentiments, de telles sensations, presque physiques, viscérales. L'envie de lui prendre la main et de la serrer dans mes bras. Rien de sexuel, en tout cas pas au sens où je l'entends souvent.
C'est marrant, je repense à Stéphane qui m'avait monté une baraque avec une fille pour qui je n'avais aucune, mais vraiment aucune attirance, et qui me disait : "Allons, Johann, tu crois que tu arriveras au chef-d'oeuvre avec la première fille que tu rencontreras ! Non, il faut s'entraîner, se faire la main !"
Et ce sermon de Ferrès Bueller sur Cameroon, son copain un peu coincé : "L'avenir de Cameroon est terne. Il n'ose rien. Il va se marier avec la première fille qui voudra bien de lui et elle le mènera par le bout du nez. Parce qu'il croira qu'elle lui aura offert ce qu'il considère comme le plus important."
J'ai un air de famille avec Cameroon, je crois bien. Si j'analyse mon comportement avec les filles, il est, en façade, toujours le même.
Un garçon que les choses de l'amour indiffèrent. Sympa, peut-être même bon copain. Point.
En réalité, il y a deux cas : je trouve la fille conne pour une raison ou pour une autre. C'est très subjectif tout ça. Alors, je ne cherche pas à lui parler, je l'ignore. C'est dommage car je rate parfois des gens bien, mais bon...
Dans ce cas, quoi qu'il se passe, je ne veux pas en savoir plus et il ne me viendrait jamais à l'idée d'essayer de la séduire. Je la méprise tranquillement et, même si elle était valable, malgré moi, je la vire. Plus exactement, je la décourage par une splendide indifférence. J'ai fait ça très bien avec la fille que Stéphane m'avait choisie.
L'autre cas aboutit aussi, hélas, à une impasse. la fille vaut le coup. Pour des raisons là aussi subjectives, je l'estime, je la respecte (ça fait con mais je ne vois pas d'autres mots). Disons que sa morale, ses convictions correspondent suffisamment aux miennes pour que je recherche sa compagnie et discute avec elle. Souvent ces filles sont mes amies. Parfois, il arrive que ce sentiment d'amitié devienne flou et tende vers cet étrange impression qui fait que, dès qu'on entend le nom d'une personne, on y repense avec attendrissement. Plus d'une amie m'a fait flirter avec ce sentiment. Seule Romane m'a autant chaviré que Juliette. Et, dans ce cas, cette estime que je porte aux gens me paralyse et je n'ose le leur faire comprendre, de peur de les décevoir; de peur de gâcher une belle amitié; de peur de paraître ridicule. Je ne sais pas non plus dire ce qu'il faut. Je me sent si sot, si sot. Et ça fait mal.
Alors, je rêve que je lui écris une lettre, poétique et belle, une lettre où je trouve le ton juste pour l'émouvoir.
Me voilà devenu romantique sans m'en rendre compte.

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