dimanche 23 novembre 2008

Ecrivain ?! J. Heuchel

le 23.11.90 - vendredi, 15 h 15

L'alternance Bosc-Giens va recommencer. Lundi, je repars pour la Côte d'Azur. En hiver, ça sera probablement très calme. Trop. D'après ce que je sais, il y a trois malades à Giens : Denis qui est sympa, mais qui ne mettra sans doute pas beaucoup d'animation. Christine qui est sans aucun intérêt et un peu bête. Et François qui est plein de qualités, mais n'est hospitalisé que de jour. Ça risque d'être dur. Enfin, il y aura bien des entrées d'ici Noël. Moi, je compte partir le 22 ou le 23 pour profiter pleinement de Noël. L'année dernière, je l'avais passé avec un drain à l'hôpital du Val-d'Or. Ca n'avait pas été très drôle. J'espère faire mieux cette année. pendant ma cure de perfusions à Giens, je reverrai aussi Jean-Jacques (enfin ce n'est pas sûr). Je dois aller à Marseille faire un ou deux examens complémentaires pour le bilan pré-greffe, et Jean-Jacques doit redescendre pour son bilan des six mois de post-greffe.
Je repars, théoriquement, le 12 dans l'après-midi. Il arrivera le 12 au soir. je vais donc essayer de me faire prolonger de vingt-quatre heures pour le voir. Mais cela dépendra aussi des conditions d'hospitalisation. S'ils piquent comme des nuls, je ne resterai pas.
Quoi qu'il en soit, j'ai eu une agréable période à la maison. Je suis allé au cinéma chaque semaine. J'ai lu quelques livres à un rythme correct (notamment le dernier Stephen King) et j'ai pas mal discuté avec mes cousines. J'ai l'impression que le jeu de rôles n'est plus qu'un prétexte à nous voir. En un mois, nous n'avons fait que deux parties. En réalité, nous passons de plus en plus de temps à parler. de musique, de livres, de ciné, de BD, mais aussi de projets, de vie, de mort, de Dieu, des dieux,des extraterrestres, de Mars, du monde, de l'Irak, de la contestation étudiante, de mode, de nos parents, de nos grands-parents, d'amour, d'amitié, d'enfants, de mille et une choses. Ces discussions sont très agréables et prennent de plus en plus de place dans nos rencontres. A tel point que, ce week-end, nous n'avons que la création d'un démon-bras pour Lorzaniah au programme. Il est sous-entendu que nous allons parler le reste du temps.
Une autre activité essentielle de ces dernières semaines fut, pour moi, la participation au concours de nouvelles de la villede Villeneuve-d'Asq, sur le thème "et si Mozart m'était conté".
J'ai toujours aimé écrire. j'ai depuis longtemps, rêvé d'être un écrivain. D'ailleurs, je n'y ai pas renoncé. L'écriture est le plus vieux (et le moins coûteux) des moyens de communication entre les gens et les époques. Par "communiquer" je n'entend pas promouvoir une marque de lessive ou une couche culotte. Non. Je prends ça au sens noble du terme. Faire partager une joie, un plaisir, une émotion à travers le temps et l'espace, c'est ce qu'il y a de plus formidable en ce monde, après le plaisir de la création. J'aime ça. J'aimerai faire ça toute ma vie. J'aimerai en vivre.
Il y a un an, j'ai donc participé à ce concours. L'année dernière, le thème en était le rêve. J'ai perdu. Ça ne m'étonne pas. J'aime écrire, mais ce n'est pas parce que j'aime cela que j'ai du talent. C'est dommage. Mais bon, en tout cas, les organisateurs du concours m'ont renvoyé un courrier m'apprenant l'existance de celui de cette année.
Mozart en est le thème. Mozart, dont on connaît le statut d'enfant prodige, m'a fait penser (on réagit toujours en fonction de soi et de son expérience) à Pierre-Jean Grassi.
J'ai donc écrit un texte, qui fait six copies doubles, sur un adulte muco, compositeur classique. je n'ai pas fait, heureusement, l'histoire de Pierre-Jean en l'appelant Mozart.
Je ne connaissais pas Pierre-Jean et je ne connais pas la musique classique. Ce que j'ai essayé de faire passer dans ce texte, c'est la réponse à la question fondamentale qui m'a longtemps torturé l'esprit, même si je n'arrivais pas à la formuler : "Quel est mon rôle en ce monde, à moi qui suis faible, improductif, inutile ? A moi qui ne vivrai pas assez longtemps pour que le monde s'aperçoive que j'ai vécu ? A moi qui n'apporte aux autres que le malheur de ma condition ?"
J'ai répondu, en partie, à ces questions depuis seulement quelques mois. Pour moi, ce texte est important. Mais je ne sais pas si je vais réellement l'envoyer. Je le pense car je ne savais pas si je l'écrirais et je l'ai fini hier. Mais tout de même, certaines choses me retiennent.
La pudeur d'abord. J'en dis beaucoup sur moi, plus que ce que j'ai jamais dit, même à mes parents (quoiqu'ils l'aient sans doute ressenti). Ensuite, j'ai peur que mon histoire soit mal interprétée, qu'elle le soit comme une autocongratulation. Que l'on pense que je me fais une très haute idée de moi-même. Et je crains la réaction de mes proches et celle des autres mucos. Surtout ceux que j'aime et estime : François, par exemple, dont les critiques acerbes fusent facilement et sont si justes.
Évidemment, si je lui montrais le texte, il pourrait peut-être me montrer ce qui est bancal. mais ce ne serait plus mon texte et je serais donc hors concours. On ne rôde pas un texte comme les règles des jeux de rôles. De toute façon, jamais je n'oserais le faire lire à des gens comme lui. Ni même à des proches. Si je l'envoie au jury du concours, je l'aurai moi-même dactylographié et photocopié. L'idée que des gens qui n'ont jamais vu ma tête et qui ne me connaissent que par courrier seront les seuls à lire le texte me soulage.
Je repense aussi à une conversation que j'ai eue avec Stéphane. Il partage les mêmes rêves littéraires que moi. mais lui, il semble réellement doué. J'ai lu certains de ses textes et il en ressort une atmosphère particulière que l'on ne retrouve nulle part ailleurs. Si j'essayais de définir ses écrits, je les comparerais à un mélange de Kafka et de Lovecraft pour l'ambiance. Mais les sujets sont plus violents et plus proches du quotidien. De certains se dégagent, en tout cas, ce désespoir et cette tension sous-jacente communs aux deux autres écrivains. Il y a aussi une parenté avec Lautréamont, parfois voire avec Poe.
Bref, un jour on parlait de littérature et Stéphane m'a dit vouloir entrer dans la littérature par la grande porte. Il n'était pas question, pour lui, d'écrire un journal, mais un roman, de qualité, qui s'épargnerait la facilité de transposer sa vie (plutôt mouvementée). Or, c'est un peu ce que j'ai l'impression d'avoir fait. Mon histoire ne reprend pas un moment que j'ai vécu, mais j'ai sombré dans la facilité d'évoquer la mucoviscidose, le monde de l'hôpital que je commence à bien connaître et la maladie. C'est un peu facile !
D'un autre côté, en parlant de ce que je connais, je m'évite d'écrire trop de conneries et j'y gagne en authenticité. je pense être bien placé pour parler de tout ça. Mais la musique ? Car, pour parler de Mozart, il m'a fallu parler de musique classique. Or, je n'y connais rien et je n'aime pas ça. Là, mon histoire semble trop idiote. Cette idée de temps entre les trois minutes d'une chanson et les deux heures d'un opéra est assez grotesque. D'autant que Pierre-Jean a composé des morceaux courts. Mais, dans la trame du récit, cela s'imbrique bien avec le personnage, obsédé par la temps qui lui reste à vivre.
J'ai fini hier, et même maintenant que cette nouvelle est achevée, je n'arrive pas à me décider. Ai-je fait un texte un peu bête, un peu pleurnicheur et exhibitionniste, un peu trop glorifiant et trop mièvre ? Ou est-ce qu'il correspond à quelque chose de réellement importa,nt qui pourrait amener les gens à réfléchir sur leur condition ?
Ce sentiment de jalousie à l'égard des bien-portants, qui ignorent leur chance et se font une vie d'enfer alors qu'ils ont un sacré avantage au départ, est lui-même critiquable. Car enfin, est-ce parce que j'ai tiré un mauvais numéro que je dois en vouloir aux autres ? D'ailleurs, il y a deux ans, jamais je n'aurais écrit un truc pareil. J'ai changé. mon numéro n'est pas si mauvais, je l'ai déjà écrit ici. je suis en train de tourner en rond dans ma réflexion. Car, finalement, ce texte part un peu à rebrousse-poil de ce que je fais d'habitude ou, du moins, de ce que je faisais.
En y repensant maintenant, ce texte est l'écho de ma rencontre avec les jeunes filles du Centre sportif du Pradet. La fois où j'ai raconté ma vie à des inconnues. Je garde un souvenir ému de cette rencontre. Elles m'avaient réconforté, d'une certaine façon. Et moi, que leur avais-je apporté ? Peut-être ce que la muco apporte au narrateur : une certaine conception de la vie. Si c'est bien cela que l'on retiendra de cette nouvelle, alors il me semble qu'elle est bonne. Il faudrait que je la retouche pour bien faire comprendre aux lecteurs que les deux personnages centraux gagnent, l'un et l'autre, dans cette rencontre. L'un parce qu'il se sent moins seul et l'autre parce qu'il se sent aussi moins seul. ils s'enrichissent mutuellement, prenant, dans l'autre, la force nécessaire à affronter leurs épreuves. L'idéal serait de ne pas écrire cela noir sur blanc, mais de le faire ressentir au lecteur. là, j'aurais vraiment réussi mon coup.
De toute façon, je vais partir à Giens. J'aurai un mois pour y repenser dans un contexte différent. Ce n'est qu'après les vacances de Noël, lorsque je serai à nouveau seul à la maison, que je pourrai dactylographier ce texte. j'aurai dix jours pour le faire et, ensuite, il me faudra décider si, oui ou non, j'enverrai cette nouvelle au jury.

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