jeudi 11 septembre 2008

Le coeur net J. Heuchel

le 11.09.90 - mardi soir

Le voyage en Corse est fini. Je suis rentré (une fois de plus) à Giens. Mais, cette fois, je ne pense pas avoir besoin de perfusions. J'espère repartir jeudi, ou vendredi au plus tard. j'ai vécu une des plus belles semaines de l'année et, peut-être, de ma vie. Malgré plusieurs tensions au sein de l'AMB*, qui se sont plus ou moins résolues, ce voyage fut formidable.
D'abord, c'est la première fois depuis longtemps qu'un de mes projets aboutit.
La deuxième fois que j'avais voulu partir en vacances, j'étais tombé malade en Angleterre (en septembre 88, à moins que ce ne soit en août... non... c'était en août, j'en suis sûr maintenant). depuis, beaucoup de trucs avaient foiré : ma scolarité, l'intervalle sans cesse rétrécissant des cures de perfs, les pneumos. Bref, un désastre ! (sauf l'obtention de mon permis de conduire). Aujourd'hui, j'arrive à gérer ma santé pour être en forme à une date fixe. C'est déjà très bien. D'autant que ce séjour en Corse, loin de me fatiguer, m'a été profitable. J'ai fait du sport à mon rythme, tranquillement, sans abuser de mes forces. une bonne alimentation, des nuits de sommeil calme et aussi une ambiance sympa qui m'a fait oublier une partie de mes tracas m'ont permis de conserver ma forme, voire de m'améliorer. Enfin, ce sont les examens de demain qui le diront.
Mais, de tout le séjour, ce qui m'a le plus touché, c'est la conversation que j'ai eu hier soir avec Stéphane. C'était la fête du départ et il était un peu allumé, mais je crois que pour dire ce qu'il a dit sans rougir il faut être éméché.
il m'a parlé avec une franchise que je n'ai jamais trouvée chez quelqu'un d'autre jusqu'ici. beaucoup de mes amis m'apprécient et me le font savoir, mais aucun comme Stéphane. En fait, cela aurait pu tenir pour une déclaration d'amour , si j'étais une fille ! Disons que c'était une déclaration d'amitié.
Il m'a dit qu'avec Claire il avait découvert la foi. Une foi, presque chrétienne, en un être ou une force supérieure matérialisée par l'amour. une force belle et puissante. Une foi en la vie, en l'avenir, en un monde meilleur, en un au-delà où il espère me revoir. Une foi plus forte que tout qui vous pousse à continuer le combat, à tout endurer, à garder l'espoir en un futur où l'on réaliserait l'impossible, où l'on dépasserait les statistiques (l'âge moyen d'un muco : 25 ans -90 ou 95% d'entre eux sont stériles) et où l'on pourrait enfanter et voir son fils (ou sa fille, ne soyons pas macho) grandir, devenir adulte et autonome; et, enfin,mourir en paix.
Cette foi qu'il puise dans l'amour qu'il a pour Claire, il voulait me la "donner" (ce sont ses propres termes) pour m'aider à sortir de l'impasse.
"L'avenir est sombre; il y a un grand mur noir, mais il faut le dépasser pour contempler, après, la victoire." "Tu es celui qui compte le plus pour moi, après Claire." "Je voudrais te donner cette force." "En tout cas, sache que tu n'est pas seul,que lorsque tu partiras pour la greffe je serai avec toi, que je me ferai charcuter aussi et que, si je le pouvais, je le ferais à ta place." "Tu n'est pas seul, je suis avec toi." " Je t'aime et tu es mon meilleur ami et la seule chose que je voudrais c'est donner, mais je suis si peu de chose..."
Ce furent à peu près ses phrases.
Et lorsqu'il a eu fini, j'étais tellement ému que j'ai failli en pleurer. Lui aussi n'en était pas loin. Bien sûr, tout cela peut faire un peu cul-cul. Dialogue de sous-opéra à la mode V.S. Mais c'était poignant et sincère. Le simple fait qu'il ait fallu qu'il soit bourré pour me dire ça le prouve. C'est trop énorme pour être dit à jeun. Et heureusement que j'étais moi-même légèrement "paf", sinon je crois que je lui aurais ri au nez. Pourtant, ce soir, sans avoir bu une goutte d'alcool, tout cela m'émeut comme hier. L'amitié que j'ai pour lui, celle qu'il a pour moi, est si forte que ça fait presque mal. A la limite, en me relisant, j'en parle presque comme d'un amour. Pourtant ni lui ni moi sommes homosexuels. C'est juste mon meilleur ami. Le plus sincère sans doute, le plus proche de ce que je suis. Probablement parce que, lui aussi malade, il me comprend mieux que les autres et peut-être même mieux que Laurence et Aude que je connais depuis dix-neuf ans.
Quoi qu'il en soit, hier il m'a effectivement donné quelque chose : l'espoir et la confiance.
Après tous ces mois où l'éventualité de la greffe me paralysait (à quoi bon travailler, aimer, si c'est pour mourir demain ?), je suis décidé à faire quelque chose de cette année. je ne sais pas encore quoi, mais j'espère faire quelque chose de plus concret, de plus créatif que les jeux de rôles, la lecture et la tenue de ce journal. Peut-être vais-je reprendre le texte commencé, il y a un an, sur Norman Husky ? A moins que je prenne des cours particuliers de niveau terminale, mais en ne choisissant que les matières qui me plaisent (philo, littérature, histoire).
A moins que je ne me lance dans une expérience totalement nouvelle : l'amour, la recherche de l'âme soeur, de la femme avec qui je veux prendre le pari de la vie. et serais-ce avec Juliette ? Je n'en sais rien. J'ai, certes, une pensée particulière pour elle, mais est-ce réellement de l'amour ? Et puis, Juliette m'a un peu déçu durant le voyage en Corse à toujours rechercher la compagnie des mucos bourrés. juliette, paradoxalement si intelligente et sensible, ne se rend-elle pas compte que ce sont des abrutis qui n'ont rien entre les oreilles et dont l'unique philosophie est : "la vie est courte, il faut tout essayer. Brûlons-la par tous les bouts. Vivre vite. Mourir jeune"?
Je n'ai pas encore résolu la question. Mais, en me quittant à l'aéroport de Marignane, Juliette m'a dit qu'elle reviendrait à Giens en octobre. Je la reverrai sans doute à ce moment et là, plus seul avec elle, j'essayerai d'en avoir le coeur net. C'est le cas de le dire !
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*Association des Muco-battants.

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