mercredi 9 juillet 2008

Un vrai ami J. Heuchel

Le 09.07.90

Il y a deux jours - avant-hier soir, quoi - alors que je soufflais tranquillement pour faire ma kiné, le téléphone a sonné. Je décroche. Une voix curieuse, faible et éraillée, me parvient du fond de l'écouteur, une voix familière mais que je n'arrive pas à identifier.
"Qui est-ce ? ai-je demandé.
- Devine."
Et là, j'ai réalisé ! C'était Jean-Jacques ! Jean-Jacques qui me téléphonait depuis Salvator, où il va rester jusqu'au début Août. L'entendre m'a fait vraiment plaisir. Mais, en même temps, je me suis senti coupable de ne pas l'avoir soutenu plus, durant la réa. En fait, je crois qu'inconsciemment j'ai rejeté Jean-Jacques à l'arrière plan depuis mon retour à la maison. sans doute parce que la greffe est une épreuve si forte qu'elle me fait peur et que, finalement, je préfère ne pas trop saisir à l'avance où je vais, ni si je resterai vraiment longtemps à Marseille.
Jean-Jacques avait l'air très fatigué, extrêmement las, comme si rien ne l'intéressait, comme s'il était usé et flétri, sans envie ni désir. Il subit simplement les conséquences de la greffe. Ils l'ont réopéré pour enlever des hématomes sous les épaules. Il a de l'eau entre les plèvres et a fait un (ou plusieurs) pneumothorax. Lui qui en avait si peur, il sait ce que c'est maintenant. Il est drainé depuis samedi pour ça. Mais, il y a quelques jours, il marchait, m'a-t-il dit. Trente-neuf jours après l'opération, il recommence seulement à réécouter son Walkman. Lui qui, comme moi, l'avait acheté pour passer le temps en réa, n'a même pas eu envie de l'écouter. Sa mère m'a dit qu'il n'avait écouté en entier la cassette que nous avions enregistrée à Giens qu'il y a quelques jours. Avant, il était trop faible.
Si je ne l'ai pas réellement soutenu en réa, je vais le faire maintenant qu'il est pleinement conscient et qu'il peut recevoir des visites. Demain, je repars à Giens. Mes parents me suivent le 12. Ils arriveront le 14 au soir et resteront jusqu'en août. Ensemble, nous irons le voir à Salvator. C'est en fait là-bas, lorsqu'il aura repris des forces, que l'impatience de rentrer chez lui va le prendre et qu'il va commencer à vraiment en avoir marre. Avant de partir, je lui téléphonerai sans doute. Et je lui enverrai une lettre de là-bas en attendant d'aller le voir.
Je ne sais pas comment va évoluer notre amitié, mais je pense que, finalement, comme pour Guy, la greffe ne va pas présenter un obstacle insurmontable. En attendant de le rejoindre de l'autre côté de la barrière, nous nous écrirons. Il ne faut pas que l'on perde contact. ce serait trop bête. Bien que nous n'ayons que peu de goûts en commun, nous sommes de vrais amis et le coup de téléphone de Jean-Jacques a renforcé cette amitié. "Parce que c'était moi, parce que c'était lui", disait Montaigne.
Dans un tout autre registre, hier je suis allé déjeuner à Dieppe, dans un grand restaurant avec vue sur la mer. Le repas, bien qu'agréable, fut banal. Mais, après nous être empiffrés, nous sommes allés sur la plage de galets pour voir de plus près la mer et digérer un peu. Il y avait sur l'avenue de la plage une curieuse caravane d'Art Modeste. C'est-à-dire que des artistes itinérants, ayant fait de leur caravane le temple du pop-art de mauvais goût, ont fait escale là-bas. certaines réalisations étaient d'une laideur extrême; d'autres, volontairement provocantes, étaient plus intéressantes. Bien que je soupçonne ces artistes du Trash-art d'être encore plus imbus de leur ego que les "artistes officiels", leur exposition n'en était pas moins intéressante. Eux, au moins, ont essayé de faire quelque chose. C'est facile de critiquer lorsque l'on est spectateur, mais encore faut-il savoir et oser un minimum. Finalement, les délires caravanesques de ces types étaient assez proches de ce que je voudrais faire du "Cotyledon" : un journal instinctif où chacun pourrait faire partager aux autres ses désirs, ses passions, ses émotions ou ses fantasmes. Sans censure ni fausse pudeur, arriver à s'exprimer, pour qu'au travers du journal il se dégage un "esprit muco" qui ait valeur de témoignage.

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